Nos lettres ouvertes répétées à Monsieur Mohamed Aïssa ne recevant pas de réponse, peut-être que la présente, qui sera adressée à l’attention de Monsieur Ahmed Ouyahia, trouvera plus d’écho, puisqu’il semble être particulièrement engagé dans la lutte contre les « mouvements » qui ne seraient pas malékites. Il ressort de tout cette mascarade autour de la question des Ahmadis, bien des contradictions patentes que nous n’avons pas hésité à souligner lors de différentes lettres précédentes. Monsieur Ahmed Ouyahia s’économise bien de mentionner nos multiples interpellations destinées au gouvernement algérien afin de solliciter une audience avec les Ahmadis d’Algérie. Rien n’y fait, il semblerait qu’il existe bel et bien des citoyens de seconde zone en Algérie.
Les Ahmadis se tiennent debout avec l’Algérie
Il faut rappeler à Monsieur Ahmed Ouyahia, qui tente de faire la promotion de la « préservation des valeurs algériennes » et appeler à la lutte ouverte contre les Ahmadis plusieurs éléments de fond importants. D’abord, le représentant de la communauté musulmane Ahmadiyya dans le monde, Hadhrat Mirza Masroor Ahmad, refuse que les Ahmadis, quel que soit le pays dans lequel ils vivent, s’opposent aux dirigeants politiques, aux motifs que les Ahmadis sont apolitiques et ne sont pas concernés par les affaires mondaines.
Il s’agit également de traiter les questions de religion avec la sagesse nécessaire, laquelle était également celle du Prophète de l’Islam. N’a-t-il pas soutenu que « l’amour de sa patrie est une partie intégrante de sa foi » ? Partant, les Ahmadis sont bel et bien des Algériens convaincus, qui ne souhaitent pas porter atteinte à l’ordre public mais bien à préserver l’unité algérienne. L’unité algérienne passe évidemment par la nécessité de sauvegarder la culture mais également par la reconnaissance d’opinions différentes, tant qu’elles ne portent pas atteinte à l’ordre public.
Si des opinions ont un effet nocif pour l’ordre public, répandant ainsi le désordre et la mauvaise information, alors elles devraient être considérées comme des opinions qui ne sont pas admissibles dans l’ordre public algérien. Mais il faut, encore une fois, revenir aux fondamentaux : en quoi les Ahmadis ont-ils porté atteinte à l’ordre public ? Pourquoi cette communauté pacifique, qui condamne le terrorisme, qui est généralement bien intégrée et appelle de ses vœux au dialogue et la pacification publique, se retrouve au centre d’une polémique algérienne alors qu’elle y est présente depuis des années et que rien n’a été diligenté contre elle ?
Evidemment, on reprochera aux Ahmadis de semer le désordre en se montrant ainsi dans des tribunes, en essayant d’expliquer leur cause. On dira même qu’il existe dans ces affaires une « main étrangère. » Toutes ces accusations sont fallacieuses et infondées. Elles ne font que révéler les fantasmes autour de ce mouvement et n’apportent aucune solution face aux désarrois des Ahmadis qui se font arrêter, dont 25 membres sont actuellement en prison, simplement parce qu’ils ont cru. Il faut également rappeler que la liberté de religion n’est pas un principe qui est cher aux Ahmadis qu’en Algérie. Il est un principe fondamental de la religion islamique. En effet, la charte de Médine n’était qu’un texte éminemment en avance sur son temps qui concède une liberté totale de religion. C’est la raison pour laquelle il est important, en tant que musulmans, de reconnaître cette même liberté à tous les mouvements, sauf à tomber dans une forme d’hégémonie dont les différentes cultures s’accommodent mal.
Qui distille la division ?
En réalité, la question de fond est bien celle-ci. Qui distille la division au sein du peuple algérien ? Lorsqu’on apprend que les Ahmadis ne sont que très rarement présents sur les plateaux de télévision ou sur les plateformes médiatiques et qu’en réalité, à part quelques médias, toute la presse s’acharne sur le sort de ces derniers, il convient réellement de se poser la question des personnes à l’origine de cette cabale ? Le fait de pourchasser juridiquement, médiatiquement et socialement des Ahmadis vivant en Algérie, dont les casiers étaient vierges, qui n’avaient jamais commis un délit de droit commun, n’est-il pas justement un bon moyen de diviser un peuple qui ne souffrait jadis d’aucun problème. La question se pose d’autant plus à Monsieur Ahmed Ouyahia qui semble accompagner la lutte contre le mouvement des Ahmadis.
Or, dans les faits, aucun fait tangible nous explique ce pour quoi les Ahmadis sont pourchassés. La Ligue Algérienne des Droits de l’Homme martèle pourtant depuis des mois que cette « chasse aux sorcières » ne sortira pas l’Algérie de ses véritables problématiques sociales ou économiques. Si l’économie mondiale connait un ralentissement, les Algériens ne sont pas à l’abri de ce ralentissement qui les frappe tous, sans exception. Mais verser dans un débat religieux mettant les citoyens les uns face aux autres est une faute impardonnable.
La situation au Pakistan est un vecteur de développement qui devrait faire bondir tous les Algériens. Alors que le Général Parwez Musharaaf a soutenu que « sa sympathie est avec les Ahmadis du Pakistan », il estime que le problème est en réalité issu des relents du monde musulman. Il ne faut pas aussi passer sur l’actualité dans laquelle un étudiant, non pas parce qu’il était Ahmadi, mais simplement parce qu’il s’est dit en faveur des Ahmadis, s’est fait lyncher à mort par plusieurs centaines d’étudiants. La question est comment est-ce qu’on en est arrivé là ? La réponse est aussi simple que la question, c’est lorsque Bhutto a décidé de déclarer les Ahmadis comme « non-musulmans », pensant ainsi qu’il allait mettre fin aux divisions (il faut ici rappeler que Mohamed Aïssa a fait de même lors d’une récente déclaration).
En réalité, les chefs religieux en ont voulu toujours plus et ceux qui sèment la division ne sont pas les Ahmadis, c’est un état de fait qui a bien été compris au Pakistan. Il faudrait désormais le comprendre en Algérie et reconnaitre que cette cabale n’a aucune forme d’intérêt. Encore une fois, Monsieur Ahmed Ouyahia, les Ahmadis, emprisonnés ou en liberté, sont toujours debout, avec l’Algérie et un slogan qui n’en démord pas : Amour pour Tous, Haine pour Personne.
* Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur spécialisé sur les questions d’islam et de laïcité. Il est responsable aux affaires publiques & presse de l’Association Musulmane Ahmadiyya de France.