Le chef d’état-major de l’armée algérienne Ahmed Gaïd Salah a proposé que le président Abdelaziz Bouteflika, affaibli par la maladie et contesté par la rue, soit déclaré inapte à exercer le pouvoir en vertu de la Constitution ou qu’il démissionne.
Le général Gaïd Salah, également vice-ministre de la Défense et considéré comme l’un des personnages les plus puissants du pouvoir algérien, a fait cette annonce surprise mardi, plus d’un mois après le début d’une contestation populaire inédite.
Pour sortir ce pays pétrolier de la crise, ce fidèle de M. Bouteflika a prôné le lancement de la procédure prévue par l’article 102 de la Constitution, applicable quand le président de la République « pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions » ou en cas de démission.
Désormais, la balle est dans le camp de M. Bouteflika lui-même, s’il choisit de démissionner, ou dans celui du président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaiz, un proche du président à qui il revient de lancer la procédure permettant de déclarer le chef de l’Etat inapte à exercer ses fonctions.
Seuls quelques klaxons ont accueilli la nouvelle à Alger, selon des journalistes de l’AFP.
Agé de 82 ans et au pouvoir depuis 1999, M. Bouteflika est affaibli par les séquelles d’un accident vasculaire cérébral qui, depuis 2013, l’empêchent de s’adresser de vive voix aux Algériens et rendent rares ses apparitions publiques.
« Il devient nécessaire, voire impératif, d’adopter une solution pour sortir de la crise », a déclaré le général Gaïd Salah, nommé en 2004 par le chef de l’Etat à la tête de cette puissante institution. Il a prôné une solution répondant aux « revendications légitimes du peuple », conforme à la Constitution et garantissant la « stabilité de l’Etat ».
Solution de « consensus »
Cette « solution à même d’aboutir à un consensus (…) et de faire l’unanimité de toutes les parties, est celle stipulée par la Constitution, dans son article 102 », a poursuivi le chef d’état-major dans un discours prononcé lors d’une de ses régulières visites auprès d’unités sur le terrain et diffusé à la télévision nationale.
L’article 102 de la Constitution stipule que le président du Conseil de la Nation (chambre haute) exerce l’intérim en cas « d’empêchement » du chef de l’Etat quand, « pour cause de maladie grave et durable », il « se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions ».
Ce sont les deux Chambres du Parlement, qui sur proposition du Conseil constitutionnel, votent à la majorité des deux tiers « l’état d’empêchement ».
Si « l’empêchement » se poursuit au-delà de 45 jours, le pouvoir est déclaré vacant. L’intérim se poursuit alors pendant 90 jours maximum, durant lesquels une présidentielle est organisée.
L’article 102 prévoit également cette procédure de « vacance » en cas de démission du président de la République.
La contestation en Algérie, pays membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), a été déclenchée le 22 février par des manifestations massives contre l’annonce de la candidature de M. Bouteflika à un 5e mandat.
Face à la pression de la rue, le président algérien a renoncé à cette candidature mais a reporté la présidentielle prévue le 18 avril, prolongeant son actuel mandat jusqu’à un scrutin devant être organisé à une date incertaine, après une « Conférence nationale » chargée notamment d’élaborer une nouvelle Constitution.
Une solution totalement rejetée par les manifestants.
« Anarchie »
Apparu divisé sur la façon de sortir l’Algérie de la crise, le Front de libération nationale (FLN), parti d’Abdelaziz Bouteflika, avait resserré les rangs lundi, estimant que la proposition du président algérien était « la meilleure » et s’opposant à toute « vacance » au sommet susceptible de « conduire à l’anarchie ».
Plusieurs partis de l’opposition avaient récemment proposé une sortie de crise sans M. Bouteflika, via une transition de six mois débutant dès l’expiration le 28 avril du mandat du chef de l’Etat, dont les pouvoirs seraient confiés à une « instance présidentielle » collégiale, chargée d’organiser un scrutin « libre et transparent ».
La rue algéroise est restée circonspecte après les propos du général Gaïd Salah.
Cette annonce « ne va pas régler la crise. Le peuple ne réclame pas uniquement le départ de Bouteflika, mais de tout le système » au pouvoir, a dit à l’AFP Oumeima Khellaf, 24 ans, étudiante en tourisme.
Pour Mohand Chertouk, électricien de 36 ans, il s’agit « juste d’une tentative de gagner du temps (…) le départ de Bouteflika peut constituer un début de solution, mais il faut ensuite « un changement profond, sinon la crise va perdurer ».
Côté partis, le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), principale formation islamiste, a estimé que l’article 102 « ne permet pas la mise en œuvre de réformes » une fois appliqué et empêche de futures « élections libres ».
Le MSP, qui a rompu avec la majorité présidentielle depuis 2012, a appelé l’armée à « se contenter d’accompagner la classe politique dans la recherche d’une solution ».
Ali Benflis, ex-Premier ministre de M. Bouteflika devenu l’un de ses principaux opposants, a salué l' »engagement » de l’armée à trouver une solution satisfaisant « les revendications légitimes » du peuple algérien, mais a averti que « la mise en œuvre de l’article 102 » ne peut régler seule la crise.
Le Front des Forces socialistes, plus ancien parti d’opposition, a dénoncé « un coup de force contre la volonté populaire (…) à savoir le départ du système et de ses hommes, et pas seulement du chef de l’Etat ».
Ce matin, c’est le parti RND, principal allié de Bouteflika, qui réclame cette fois la démission du président.