Des kilomètres de bouchons dans la ville et une effervescence de plusieurs jours ont précédé l’inauguration de la nouvelle grande mosquée de Dakar, vendredi. Une mosquée dont la réalisation a pris dix années. Dix années de travaux financés par les fidèles de la confrérie musulmane des mourides, l’une des plus influentes du Sénégal. L’édifice a coûté plus de 20 milliards de francs CFA — plus de 30 millions d’euros. Quant à l’Etat, il a offert les six hectares de terrain sur lesquels a été construite la mosquée et a débloqué plus de 10 millions d’euros pour la voirie, l’assainissement et l’éclairage alentour.
Rien d’étonnant donc à ce que l’actuel président Macky Sall prenne part à l’inauguration à laquelle a également participé l’ex-chef de l’Etat Abdoulaye Wade. S’il s’agissait d’un événement religieux, l’inauguration de la Grande mosquée Massalikoul Djinane aura également été un moment politique important, « historique » même selon la presse sénégalaise puisque, après plusieurs années de brouille, l’ancien président et son successeur se sont enfin serrés la main grâce, notamment, au khalife générale des mourides, Serigne Mountakha Bassirou. Macky Sall a même fini par raccompagner Abdoulaye Wade chez lui.
Un geste particulièrement attendu par les Sénégalais qui est de nature à faire converger les deux présidents – passé et présent – pour le seul intérêt du Sénégal, alors que le pays a semblé divisé à l’issue de la dernière élection présidentielle de février 2019. L’actuel président pourrait même profiter de ce contexte favorable pour engager un dialogue avec le parti de l’ancien président Abdoulaye Wade, le parti démocratique sénégalais (PDS) en vue des prochaines échéances électorales, notamment les élections locales prévues en décembre prochain.
Mais la réconciliation entre les deux hommes ne doit pas pour autant occulter l’aspect religieux de l’inauguration. Cette Grande mosquée Massalikoul Djinane se veut être le symbole de l’islam tel que le conçoit le Sénégal : paisible et tolérant. Un islam endogène qui résiste aux sirènes des Saoudiens et Emiratis. Car le wahhabisme, dont l’offensive en terres africaines n’est plus un secret, reste une menace. Depuis 1979, l’Arabie saoudite a versé pas moins de 70 milliards de dollars pour financer des chantiers à l’étranger, notamment sur le continent africain. En 2010, environ 150 étudiants boursiers sénégalais étudiaient dans les universités saoudiennes.
Bakary Sambe, chercheur à l’université Gaston Berger de Saint Louis, assure qu’il existe, depuis 2005 notamment, « un projet de créer une zone d’influence wahhabite, sous l’impulsion de l’Arabie saoudite et ses organisations, sur toute l’étendue du Sahel ». Mais le Sénégal fait figure de résistant : le wahhabisme s’y heurte aux confréries, particulièrement aux mourides qui, avec la construction de cette nouvelle mosquée grâce aux dons de fidèles, montrent qu’ils veulent être un rempart au wahhabisme et à son financement systématique de mosquées et de madrasas répandant son message contre quelques millions de francs CFA.