Un nombre croissant d’études, émanant d’organismes internationaux (ONU, FMI), de centres de recherche publique et de think tanks (notamment américains), mais aussi de grandes entreprises ont mis en évidence que les discriminations faites aux femmes, aux homosexuels ou aux minorités ethniques (réelles ou supposées), constituaient un manque à gagner pour les économies nationales. Dire cela ne jette aucune ombre sur l’appréhension éthique ou morale des inégalités résultant de discriminations. Au contraire, les deux approches se complètent d’autant plus que le coût dont il est question se traduit également sur le terrain de la cohésion sociale : une société qui ne se fait pas confiance, a fortiori qui se déchire, ne peut que s’appauvrir.
« Les préjugés sont de fréquents repoussoirs pour les employeurs »
En janvier dernier, l’Insee et par l’Ined faisaient paraître la dernière partie de leur analyse intitulée « Trajectoires et Origines »(TeO) et démarrée en 2008. Elle démontre avec une grande précision que celle que l’on continue d’appeler « la deuxième génération d’immigrés », loin d’opter pour le repli communautaire, encore moins pour un communautarisme défensif – ce qui n’est pas nécessairement la même chose, bien que certains discours médiatiques et politiques le laissent entendre -, est largement mise à l’écart sur les plans territorial, culturel et économique, en raison de discriminations qui commencent dès la petite enfance et se poursuivent toute la vie. La difficulté est que ces discriminations résident pour beaucoup dans les attitudes inconscientes, souvent involontaires de ceux qui les pratiquent, ce qui les rend très difficiles à objectiver et plus encore à combattre.
Dans le monde du travail, le sexe, la couleur de peau, le nom, le département ou la ville de résidence, voire la religion supposée occasionnent des préjugés qui sont de fréquents repoussoirs pour les employeurs. L’embauche, le salaire, la promotion en pâtissent. Or des milliers d’emplois ne sont pas pourvus en raison des stéréotypes liés à l’origine ou au genre, et des millions de salariés, sous-payés du fait de ces stéréotypes, sont moins productifs et consomment moins. C’est autant de croissance confisquée pour le pays comme pour les entreprises.
« La diversité culturelle est une richesse pour notre société et non une menace »
Dès lors, il est plus que temps de considérer que la diversité culturelle est une richesse pour notre société et non une menace. La jeunesse diplômée, qualifiée, ambitieuse qui est née, étudie ou réside dans les quartiers dits défavorisés a envie de réussir. Elle crée des entreprises, construit des réseaux économiques, y compris à l’international, parle des langues incontournables dans l’économie mondialisée. Cette jeunesse innovante, c’est la France de demain : misons sur elle. Le sujet du coût des discriminations s’est invité dans la campagne des Démocrates aux Etats-Unis : il faut nous en emparer nous aussi. Le gouvernement lance une campagne de « testing » dans le monde du travail, elle sera certainement très utile : la prise de conscience est la première étape.
Marie-Cécile Naves est sociologue, américaniste, co-auteure de « Talents gâchés. Le coût social et économique des discriminations liées à l’origine », avec Virginie Martin, aux éditions de l’Aube, 2015.