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Etat d’urgence : François Sureau, avocat, plaide «Pour la liberté»

Avocat représentant la Ligue des droits de l’Homme, François Sureau a plaidé trois fois devant le Conseil constitutionnel contre des dispositions législatives relatives à l’état d’urgence : la première pénalisait la consultation de sites terroristes, la seconde créait un « délit d’entreprise individuelle terroriste », la troisième entravait la liberté d’aller et venir. A trois reprises il a montré leur non-conformité à la Constitution et il a gagné. Ses brillantes plaidoiries ont été publiées début septembre dans un livre intitulé « Pour la liberté, répondre au terrorisme sans perdre raison » (éditions Tallandier). 

S’appuyant sur des précédents dans l’histoire de la justice française mais aussi sur des grandes figures de la pensée comme Victor Hugo, Simone Veil ou encore Jean-Paul Sartre, sa rhétorique est implacable. Alors que la France vient d’adopter sa loi anti-terrorisme qui entrera en vigueur début novembre, François Sureau en montre déjà les éventuelles dérives. 

LeMuslimPost : Pourquoi avez-vous décidé de publier vos trois plaidoiries ?

Les plaidoiries devant le Conseil constitutionnel sont les seules à être filmées et publiées sur le site. La première des plaidoiries que j’avais prononcée sur l’Etat d’urgence avait eu une dizaine de milliers de vues. Mon éditeur s’est dit que ces plaidoiries devaient être connues en dehors du monde juridique et que leur publication serait une bonne manière d’attirer le public sur la problématique des libertés individuelles. En effet je m’adresse à neufs juges constitutionnels mais aussi à l’ensemble des citoyens. 

« L’état d’urgence, c’est 6 000 perquisitions administratives pour 40 mises en examen »

Selon un récent sondage, 80% des Français approuvent les mesures de la loi anti-terrorisme votée à l’Assemblée. Comment expliquez vous aussi peu d’inquiétudes chez les Français ?

Je crois que c’est le résultat d’une ‘intoxication’ collective en France, où l’état d’urgence a été renouvelé sept fois. Les Français pensent que le droit commun n’est pas efficace pour lutter contre le terrorisme et que les mesures exceptionnelles vont mieux les protéger. C’est absurde car il y a eu des attentats même en période d’état d’urgence. Les Français pensent souvent qu’il y a une incompatibilité entre la sécurité et la liberté.

De plus, la France n’est pas un pays, contrairement à l’image qui est donnée, qui est très attaché aux libertés publiques. Par exemple il a fallut attendre 1971 pour que l’on considère que la Déclaration des droits de l’homme était applicable en France et la présence d’un avocat en garde à vue a fini par être imposée en 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme.

« Il a fallu attendre 1971 pour que l’on considère que la Déclaration des droits de l’homme était applicable en France »

Quels sont les principaux risques de cette loi ?

Quand on met en place un tel système nous ne sommes jamais assurés qu’il sera utilisé uniquement pour les gens contre lesquels on voulait lutter au départ. On a mis en place l’état d’urgence contre les terroristes islamistes et le résultat est qu’on a assigné à résidence une vingtaine de militants écologistes et des supporters de football corses. Comme aucun juge ne vérifie ce qu’il se passe, l’administration est libre de faire ce qu’elle veut. Une fois que vous avez admis une législation d’exception, la brèche est ouverte. Et que se passera t-il quand ces mesures seront utilisées contre d’autres ennemis désignés ? Et surtout par des gens globalement moins convenables que les gouvernements actuels ?

Cette loi est-elle stigmatisante pour les musulmans ?

Les phrases du texte de loi ne désignent jamais les gens que l’on veut combattre. 

Il aurait fallu parler précisément des terroristes islamistes. En les visant directement, cela veut dire qu’on ne stigmatise pas l’ensemble des musulmans et qu’on ne réduit pas les libertés des Français. Finalement tout le monde est perdant : les citoyens en général car ils se voient soumis à un régime d’exception et les citoyens musulmans puisqu’ils se voient implicitement identifiés aux terroristes islamistes. Sous prétexte de lutter contre une catégorie très définie de la population qui compte entre 300 et 3000 personnes, on fait peser un soupçon sur la totalité des citoyens libres. 

« Les gens de type européen seront moins contrôlés que les autres et je trouve cela xénophobe »

Quelle nouvelle mesure dans la loi anti-terrorisme vous dérange le plus ?

Ce qui me choque le plus ce sont les dispositions de contrôle aux frontières qui ont été étendus aux abords des gares et des aéroports. Les gens de type européen seront moins contrôlés que les autres et je trouve cela xénophobe. Dans le cadre d’un projet de loi anti-terrorisme, cela veut dire qu’on pense que ces gens qui risquent de ne pas avoir de papiers français sont des terroristes. Or la plupart des terroristes qui ont agi jusque là étaient des citoyens français, comme les frères Kouachi ou Mohamed Merah. Il y a quelque chose de stigmatisant dans cette extension des contrôles administratifs à des fins de prévention du terrorisme. Tout le monde sait que la grande majorité des contrôles d’identité de ce type aboutissent à des poursuites pour infraction à la législation du séjour et non pas à des poursuites sur le fondement des lois anti-terroristes.

« Rien n’indique que le régime de droit normal soit moins efficace que le régime de droits exceptionnels »

Selon vous comment peut-on lutter plus efficacement contre les attentats? 

Mon idée est que rien n’indique que le régime de droit normal soit moins efficace que le régime de droits exceptionnels. Dans un état ‘normal’, la règle est qu’avant de prendre des mesures privatives de liberté on présente des preuves à un juge qui décidera s’il faut perquisitionner ou assigner à résidence. Dans un état d’urgence on ne le fait plus et l’expérience a montré que cela n’est pas plus efficace. Cela facilite simplement le travail de la police.

Donc si on veut supprimer nos droits, c’est au Ministre de l’Intérieur de nous prouver que c’est nécessaire. Personne n’a pu apporter cette preuve. L’état d’urgence c’est 6000 perquisitions administratives pour 40 mises en examen. La lutte contre le terrorisme suppose des activités de renseignements généraux, un effectif de police plus important, une amélioration de leurs moyens, et pas de changer régulièrement le Code pénal.

Quelques extraits du livre de François Sureau, « Pour la Liberté » : 

« Il y a fort à parier que le marquis de Chasseloup Laubat, s’entraînant à l’escrime dans l’espoir de perfectionner son fameux traité, ne sera pas réputé a priori coupable de vouloir dynamiter Notre-Dame. Mais il est sûr que Mouloud, s’il coupe sa viande avec autre chose qu’une cuillère en bois, est inscrit à une salle de boxe, et surfe malencontreusement sur Internet, aura toutes les peines du monde à se défaire du filet jeté sur lui. Il lui faudra, on le sait bien, apporter la preuve inverse, s’humilier, protester qu’il est un Français comme un autre. »

« Il est significatif que l’attentat de Manchester ait relancé chez nous ce débat, et que personne n’ait relevé que les Britanniques ne connaissaient pas d’état d’urgence au sens du nôtre ni n’envisageaient de le mettre en place. Sans doute les Anglais pensent-ils que c’est une victoire trop facile pour Daesh et sa propagande que de leur concéder, après la mort de leurs citoyens, celle de leurs principes. C’est un exemple dont nous devrions nous inspirer plutôt que de poursuivre cette course à l’échalote qui nous conduira, un jour prochain, à rouvrir le bagne de Cayenne ou les camps d’internement. »

« Et pourtant je voudrais remercier le législateur, bien que j’eusse préféré, comme beaucoup, qu’il ait la sagesse et l’intelligence d’admettre enfin qu’il n’y a pas d’autre hommage à rendre aux morts des attentats que de maintenir à tout prix ces libertés qui sont précisément la cause de leur mort parce qu’elles sont insupportables à leurs assassins. Oui, il faut remercier le législateur. Nous étions des Français comme les autres, inquiets des attentats, prêts, il faut le dire, à quelques sacrifices. Par son excès le Parlement nous a rendu, sans le vouloir, l’amour de la liberté. »

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