Vendredi soir, l’équipe nationale jouera au Caire la finale de Coupe d’Afrique des Nations (CAN-2019). Malgré le match, le mouvement inédit de contestation qui agite l’Algérie depuis le 22 février reste mobilisé pour un 22e vendredi de manifestations hebdomadaires demandant le départ des dirigeants hérités des 20 ans de présidence d’Abdelaziz Bouteflika, contraint à la démission le 2 avril.
L’Etat a tenu « à mobiliser tous les moyens matériels et humains disponibles pour satisfaire » la demande des supporters de « faire le déplacement pour encourager » leur équipe, a expliqué le Premier ministre Noureddine Bedoui – une des têtes de turc des manifestants, en annonçant que 28 avions affrétés par le gouvernement et l’armée transporteront plus de 4.500 supporters vers le stade de la finale.
« Le pouvoir veut mettre à profit l’élan populaire envers cette équipe, dans l’espoir de diminuer la pression que fait peser sur lui tous les vendredis le +Hirak+ », le mouvement de contestation, analyse Noureddine Bekkis, enseignant en sociologie politique à l’Université d’Alger. Mais « ces avions vont partir avec des jeunes du Hirak » qui « à la fin de la CAN (…) reviendront manifester chaque semaine ».
« Le pouvoir escompte des dividendes, alors qu’ils reste sourd aux revendications » des manifestants, explique à l’AFP Yazid Ouahib, chef de la rubrique Sport du quotidien francophone El Watan, mais « c’est une forme de corruption » qui n’aura « aucun impact sur le mouvement populaire », car depuis « le 22 février, le peuple a montré qu’on ne peut pas se jouer de lui ».
« Pratiques ’bouteflikiennes' »
Mercredi, Liberté, l’autre grand quotidien francophone algérien, a dénoncé les « pratiques populistes qui rappellent malheureusement les pratiques ’bouteflikiennes’, comme ces ponts aériens pour suivre les matches de l’équipe nationale », soulignant que « le cadeau surmédiatisé a vite été compris comme étant un élément des manœuvres du pouvoir ».
Sur les réseaux sociaux, de nombreux appels à ne pas profiter des avions du régime ont fleuri, sans grand succès, des milliers de jeunes supporters se massant mardi pour s’inscrire auprès de l’organisme chargé du déplacement.
Outre que ses chances de gain sont minimes, le pari du pouvoir pourrait même s’avérer contre-productif. Car ces milliers de supporteurs transportés jusqu’au Caire sont aussi souvent des militants actifs du Hirak, en partie né dans les stades algériens de football.
En Algérie, « les stades ont toujours été un lieu de contestation politique » et les « véritables pourvoyeurs des slogans antipouvoir et de la critique du pouvoir », souligne M. Bekkis. De nombreux chants entonnés dans les manifestations du Hirak sont nés dans les stades et à leur tour, « les supporters de l’équipe nationale chantent des chansons tirées du hirak », ajoute-t-il.
Ces supporters pourraient profiter de la tribune offerte par la finale de la CAN-2019 pour exprimer leurs revendications, alors que le président par intérim Abdelkader Bensalah sera présent dans le stade. Un supporteur a écopé d’un an de prison en Algérie pour avoir brandi en Egypte une banderole portant un slogan du Hirak.
« La Liberté »
« Mon cousin est parti pour la demi-finale et nous a raconté que dans l’avion », affrété déjà par les autorités, « les supporters chantaient des slogans du hirak », raconte à l’AFP Lamia Messaoudene, étudiante de 21 ans, pour qui le « pont aérien » n’aura aucune influence sur la contestation: « Ce pouvoir corrompu ne peut pas nous corrompre avec 28 avions ».
Les manifestations de vendredi devraient à nouveau mobiliser fortement. « Même si des supporters partiront (au Caire), il en restera toujours assez pour manifester le vendredi. Puis le soir après le match », rappelle à l’AFP l’ancienne star du football algérien Ali Fergani, devenu analyste sportif.
En cas de victoire, l’équipe doit être reçue par M. Bensalah et déjà sur les réseaux sociaux des appels sont lancés aux joueurs pour qu’ils refusent la cérémonie officielle à Alger.
Les joueurs algériens se sont peu exprimés sur le Hirak, mais Ryad Mahrez, star de l’équipe, a publié une vidéo dans laquelle ses équipiers et lui chantent « La Liberté », chanson du rappeur algérien Soolking dédiée au Hirak.
Malgré la CAN, de nombreux Algériens rappellent que la plus grande victoire algérienne serait le départ du pouvoir. « On aimerait bien gagner la 2e Coupe d’Afrique (de l’histoire de l’Algérie), mais ce n’est qu’un jeu, la priorité c’est la 2e République », rappelle Faradji Mounir sur la page Algérie Debout.