Biton Mamary Coulibaly, qui régna sur le royaume bambara de Ségou, repose depuis le XVIIIe siècle dans un tombeau en bordure du fleuve Niger. Mais dans un Mali où les préoccupations sécuritaires relèguent la culture au second rang, sa tombe risque de « tomber dans l’oubli », avertit un de ses descendants.
Le Mali, fort d’un passé riche et de la présence de dizaines d’ethnies, coeur de plusieurs empires qui ont régné sur l’Afrique de l’Ouest, s’est construit sur son histoire.
Qui ne connaît la cité de Tombouctou, grand centre intellectuel de l’islam, mythique carrefour du commerce saharien dont les mausolées consacrés à ses 333 saints musulmans ont été partiellement détruits par les jihadistes, puis reconstruits grâce à l’Unesco, qui les a classés au patrimoine mondial de l’humanité?
Ou encore la grande mosquée de Djenné, symbole de l’architecture sahélo-soudanaise?
Ces deux joyaux, tout comme la falaise de Bandiagara (centre), en pays dogon, et le tombeau des Askia, dans le Nord, situés en zone de conflit, sont aujourd’hui inaccessibles.
« Il faut qu’on préserve cette tombe, c’est notre culture traditionnelle à tous », estime Kokè Coulibaly, chef du village de Ségou-Koro, ancienne capitale du royaume bambara animiste qui s’étendait à l’époque de son ancêtre sur une bonne partie du Mali actuel.
Edifiée à côté d’une mosquée ocre, la sépulture est entourée d’un mur dont une partie s’est effondrée.
« Il faudra que nous nous en occupions tous, pour que le monde entier s’intéresse à notre patrimoine. Sans entretien, la tombe tombera dans l’oubli », explique à l’AFP le vieil homme édenté, vêtu d’un boubou blanc et coiffé d’un bonnet brun.
Havre de tranquillité bordé d’arbres, le site est visité quotidiennement par à peine une cinquantaine de Maliens dont, ce dimanche-là, quatre trentenaires de Bamako qui profitent d’une visite familiale à Ségou pour venir voir la tombe de l’ancien roi.
« C’est vrai qu’il y a un panneau qui explique, mais il faudrait autre chose pour qu’on remette en perspective le royaume et que les visiteurs comprennent vraiment où ils sont », estime l’un de ces visiteurs, Adama.
Dans un pays en proie depuis 2012 à des insurrections indépendantistes, salafistes et jihadistes, ainsi qu’à des violences interethniques meurtrières, la culture a été reléguée au second plan et la sensibilisation des 18 millions de Maliens à leur patrimoine est semée d’obstacles.
Aller au contact
Dans le centre, où les violences d’abord cantonnées au nord se sont déportées depuis 2015, l’insécurité empêche d’accéder aux villages. « Presque la moitié des cercles (départements) sont inaccessibles », regrette le chargé de la mission culturelle de Ségou, Boukounta Sissoko, qui avait l’habitude de partir en brousse au contact des populations, à moto ou en pick-up.
« Il faut mettre des moyens techniques et financiers à la disposition des professionnels de la culture pour qu’ils puissent avoir accès aux détenteurs du patrimoine, qui peuvent être des chefs de village, des chefs de tribu, des griots ou même des chefs de famille, afin qu’ils puissent à leur tour sensibiliser leur communauté », dit-il.
Pour des raisons de sécurité, l’Etat avait interdit l’usage des pick-up et des motos, mode de transport privilégié des jihadistes et des bandits de toute sorte. Et même si cette interdiction a été levée en août à Ségou, Boukounta Sissoko n’a pas recommencé à sillonner les campagnes.
Le chargé de mission privilégie à présent l’usage de la radio. « Les gens écoutent, c’est un bon moyen », dit-il, en plaidant pour un renforcement de ses moyens financiers.
S’approprier le récit national
Face au conflit et son lot quasi quotidien de victimes, l’Etat, l’un des plus pauvres au monde, ne consacre cette année à la culture que 8,7 milliards de francs CFA (environ 13,3 millions d’euros), contre 278 milliards (plus de 423 millions d’euros) à la défense, selon la loi de finances.
« Les pesanteurs du quotidien ne facilitent pas les choses, les gens sont pris dans des questions de survie », explique Doulaye Konaté, professeur d’histoire à l’Université de Bamako.
« Mais il y a une question qui se pose sur l’appropriation du patrimoine, et cela date même d’avant la crise. Il faut que les jeunes trouvent leur place dans le récit national. Quand l’histoire paraît lointaine, quand ça ne prend pas pied dans leur quotidien, ça devient difficile », explique l’universitaire.
A Ségou, la « journée nationale du Patrimoine », fin septembre, a fait un flop, n’attirant que quelques personnes.
« Nous avons un héritage commun qui nous lie, malgré nos différences », estime le professeur Konaté, pour qui la culture et la connaissance de l’histoire des différentes ethnies doivent faire office de socle commun, dans un Mali où les violences entre communautés font des centaines de morts.