Ce jeudi s’est ouvert le procès de plusieurs médias — Mediapart, L’Obs et Le Point — et ONG — Sherpa et ReAct — attaqués en diffamation par la société Socfin. En avril 2015, un article de l’ONG ReAct, relayé par l’association Sherpa et par certains médias, parlait des revendications de Camerounais à l’encontre de la Socapalm, Socfin et du groupe Bolloré. Dans cet article, l’organisation non gouvernementale dénonçait un « accaparement de terres » de la part de la société luxembourgeoise.
Depuis 2016 et le vote, par les députés européens, d’une directive pour protéger le secret des affaires — qui permet ainsi de lutter contre les lanceurs d’alerte —, les « poursuites-bâillons » se généralisent, dénoncent des journalistes et médias. « Le lobbying des acteurs économiques a récemment facilité un renforcement de la protection de ses intérêts avec l’adoption de textes tels que la directive européenne sur le secret des affaires », écrivent de nombreux journalistes dans une tribune intitulée « Face aux poursuites-bâillons de Bolloré: nous ne nous tairons pas ! ».
Etouffer financièrement ONG et médias lanceurs d’alertes
« Les poursuites-bâillons visent à faire pression, à fragiliser financièrement et à isoler tout journaliste, lanceur d’alerte ou organisation qui mettrait en lumière les activités et pratiques contestables de géants économiques », déplore de son côté Sherpa, association de juristes et d’avocats défendant les populations victimes de « crimes économiques ». Sherpa rappelle que la plainte de la filiale de Bolloré est loin d’être un cas isolé, rappelant les attaques de Vinci suite à la plainte de l’association pour travail forcé au Qatar.
Et pour mieux bâillonner médias et ONG, les multinationales n’hésitent pas à demander des sommes exorbitantes. Ainsi, 400 000 euros ont été demandés à Sherpa par Vinci, « à la place de l’euro symbolique », se désole l’association, ou encore cinquante millions d’euros par le groupe Bolloré à France 2, le groupe accusant la chaîne de « dénigrement commercial. »
« Informer n’est pas un délit »
Et le groupe de Vincent Bolloré est un habitué des procédures : « Depuis 2009, plus d’une vingtaine de procédures en diffamation ont ainsi été lancées par Bolloré ou la Socfin en France et à l’étranger — pour contourner la loi de 1881 sur la liberté de la presse — contre des articles, des reportages audiovisuels, des rapports d’organisations non gouvernementales, et même un livre », écrivent les journalistes signataires de la tribune, précisant qu’« une cinquantaine de journalistes, d’avocats, de photographes, de responsables d’ONG et de directeurs de médias, ont été visés par Bolloré et ses partenaires. »
Des procédures lancées par des multinationales qui, continuent les signataires, « sont en train de devenir la norme » et qui « visent à faire pression, à fragiliser financièrement, à isoler tout journaliste, lanceur d’alerte ou organisation qui mettrait en lumière les activités et pratiques contestables de géants économiques comme le groupe Bolloré. » Les journalistes demandent « un renforcement de la liberté d’expression et une meilleure protection des victimes de ces poursuites-bâillons » car, concluent-il, « informer n’est pas un délit. »