Vendredi soir, 18h30. Les bénévoles s’affairent déjà sous la grande tente. Certains préparent les dernières salades, d’autres finissent d’installer les tables. Tout doit être prêt pour le premier service, réservé aux non-jeûneurs. Car si on les appelle les « tables du Ramadan », ces dernières sont ouvertes à tous. Des réfugiés, des familles Roms, des personnes isolées y viennent presque chaque soir. « Nous avons choisi d’aider sans distinction d’orientation politique ou religieuse. C’est le principe de la solidarité qui prévaut, et c’est aussi un principe musulman », souligne Mahieddine Khelladi, directeur exécutif du Secours islamique de France, venu encourager l’équipe de bénévoles. Des bénévoles qui ont passé la journée à préparer le menu du jour : salade, soupe, fruits et couscous en plat principal. « Un peu cliché », avoue Habiba, la responsable des bénévoles. Mais le menu change tous les jours. « Nous essayons de proposer des menus équilibrés, avec des fruits, des légumes et de la viande car pour certains, ce sera le seul repas de la journée », explique-t-elle.
« Le partage, la charité, l’entraide, ce sont des valeurs essentielles du Ramadan ! »
Habiba nous fait visiter les lieux : la réserve, la salle et la cuisine. Le repas du soir mijote déjà dans les trois grands couscoussiers de cinquante litres. Pendant ce temps, Nadia, présente depuis le début de l’après-midi, s’occupe d’égrener la semoule. Elle y ajoute du beurre et des épices pour faire « comme à la maison ». Très occupée, elle ne manque pourtant pas de rappeler à forte voix certaines règles. En effet, en cuisine, pas question d’oublier la charlotte sur la tête, ni les gants ou les couvre-chaussures. « Ce n’est pas parce qu’on est un ‘restaurant de rue’ que l’on doit négliger l’hygiène ! Chaque bénévole a reçu une formation au début du mois », rappelle-t-elle. Nadia réserve trois ou quatre soirées par semaine pour venir au chapiteau, jonglant avec le temps consacré à son travail de juriste et à sa famille. Bénévole depuis sept ans, il n’est pas question pour elle de rater ce moment. « Le partage, la charité, l’entraide, ce sont des valeurs essentielles du Ramadan ! », souligne la trentenaire. Chaque soir, comme elle, entre 50 et 60 bénévoles – dont plus de 50 % de jeunes – viennent donner un coup de main. Et les tâches ne manquent pas : charger la réserve et les frigos, noter les dons alimentaires, la plonge, le service, l’accueil…
« Les bénévoles sont chaleureux et ma fille mange un repas sain »
Alors qu’il est bientôt 20h30, une file d’attente se forme dehors. Habiba rassemble ses troupes avec énergie, pour leur donner les dernières consignes avant le « rush » qui s’annonce et les laisser chacun à leur poste. Lina, 10 ans et demi, a une mission qu’elle prend très au sérieux : servir les dattes et le lait. « Je ne viens pas ici pour m’amuser car ce n’est pas un jeu. Je viens au chapiteau car j’aime aider les gens dans le besoin », indique la fillette qui accompagne parfois sa mère. Les premiers bénéficiaires partis, il faut déjà accueillir les suivants. Venus rompre le jeûne, ils sont encore plus nombreux. « Dix ! » n’arrête pas de crier un bénévole chargé de gérer le flux et le placement des invités. Certaines tables sont en effet réservées aux familles. A l’une d’elles, Leila, mère célibataire, est assise à côté de sa fille de 5 ans et demi. « C’est la première fois que je viens ici. J’avais un peu honte au départ, je n’osais pas. Mais les bénévoles sont chaleureux et je suis contente que ma fille puisse manger un repas sain avec de la viande », confie-t-elle avec le sourire.
42 tonnes de fruits et légumes récoltés pendant le mois de Ramadan
22h45, le service prend fin. Les convives boivent le thé et le café dehors, tout en discutant. Pourtant le travail continue, surtout à la plonge où il faut laver les plateaux. « La fatigue du mois de Ramadan commence à se faire sentir mais le secret, c’est qu’il ne faut jamais s’arrêter ! », assure Annabelle, toujours de bonne humeur. Ce n’est que vers minuit et demi, après le rangement et le nettoyage que les bénévoles pourront enfin prier et prendre un vrai repas tous ensemble. Des moments de convivialité, qui les font aussi revenir chaque année pour y retrouver « l’esprit du Ramadan ». Cette année encore, près de 30 000 repas seront distribués sous le chapiteau, mais aussi des milliers de colis alimentaires dans les prisons et pour les étudiants musulmans. Un vrai défi logistique que sait affronter l’association, après 25 ans d’existence. Désormais, le Secours islamique de France doit se moderniser et encore se faire connaître, selon son directeur : « Aujourd’hui, avec les attentats, on fait plus attention au mot ‘islamique’ que ‘Secours’ ou ‘France’. Mais nous sommes décidés à continuer de travailler main dans la main avec les collectivités comme celle de Saint-Denis, qui nous fait confiance à chaque édition des ‘Tables’. »
© Photo de une : SIF / Youssef KAZDARY