Le très médiatique Idriss Aberkane s’est rendu célèbre grâce à ses écrits et conférences sur l’économie de la connaissance et les neurosciences. Sa façon très personnelle de vulgariser les sciences a valu à l’enseignant de nombreux articles dithyrambiques dans la presse française. Mais le succès suscite souvent des jalousies et celui d’Idriss Aberkane ne déroge pas à cette triste règle. Sur Wikipedia, on peut ainsi lire dès l’introduction de la page qui lui est consacrée que le scientifique aurait « artificiellement gonflé » son CV. Régulièrement sommé de s’expliquer, le trentenaire est aujourd’hui piégé par ces attaques en règle. Si bien que ses travaux sont désormais occultés au profit d’une polémique artificiellement maintenue. Derrière ses détracteurs se cache un groupe de scientifiques qui semble mal digérer le succès en librairies d’Aberkane et qui tente de détruire la réputation de ce dernier, outrepassant toutes les règles de neutralité et d’équilibre qui devraient présider sur Wikipedia. Décryptage d’un phénomène très en vogue sur le web.
Bien qu’il ait détaillé son CV, Idriss Aberkane toujours dans l’œil du cyclone
Tout commence lorsque l’auteur de « Libérez votre cerveau » débute un tour de France des plateaux de télévision. Présenté comme un « petit génie » par les journalistes, notamment grâce à ses nombreux diplômes et ses postes de chercheur dans de grandes institutions, Idriss Aberkane est rapidement pris en grippe par quelques scientifiques qui lui reprochent d’avoir utilisé de faux titres comme celui d’enseignant-chercheur au CNRS. Idriss Aberkane assure ne pas comprendre la polémique. « J’ai toujours contesté l’idée de ne pouvoir revendiquer le statut d’enseignant-chercheur à Centrale puisque j’ai prouvé que j’y ai fait de la recherche », explique-t-il. Mais il dément fermement avoir un jour avoir dit qu’il était enseignant-chercheur à Polytechnique. Cette approximation est due à l’erreur d’un journaliste.
L’affaire prend de l’ampleur après un post Facebook posté par un certain Matthieu Leocmach, chercheur au CNRS à Lyon, en octobre dernier. Une bataille de chercheurs, en quelque sorte, donc. Car du côté du CNRS, que L’Express a contacté, on ne trouve rien à redire.
Idriss Aberkane, après avoir été stagiaire au CNRS en 2005, est en effet désormais résident au Centre de recherche en gestion, une unité CNRS et de l’ISC relevant en grande partie du CNRS. Lorsque Idriss Aberkane affirme être « affilié au CNRS », c’est parce qu’il « collabore avec des laboratoires » de cette institution. Pour mettre fin une fois pour toutes à la polémique, Idriss Aberkane a exhaustivement détaillé son CV sur son site internet, preuves à l’appui. En vain : la fiche Wikipédia reste envers et contre tout fidèle à la version erronée de ses détracteurs …
« Les pires éditeurs sont ceux qui sont motivés par des motifs idéologiques »
Mais comment l’encyclopédie en ligne peut-elle se réduire en l’agora d’une « guéguerre » entre universitaires ? Le principe initial de l’encyclopédie est celui-ci : être ouvert à tous, ou presque. « Modifier un article est d’une simplicité enfantine, nous confie un professionnel de l’e-réputation, spécialisé dans l’édition sur Wikipedia. Mais cela laisse parfois place à des règlements de comptes malveillants, orchestrés par une seule personne parfois. » « A mon avis, les pires éditeurs sont ceux qui sont motivés par des motifs politiques ou idéologiques », surenchérit un contributeur francophone, cité par L’Obs. Pourtant, la surveillance par des administrateurs élus par la communauté devrait permettre d’éviter les attaques motivées par un esprit de vengeance. Des administrateurs qui vérifient, contrôlent et effectuent un ménage de printemps régulier. Mais quinze ans après sa création, Wikipedia continue d’accueillir des « vandales », bien souvent anonymes, sur ses pages. Concernant Idriss Aberkane, plusieurs utilisateurs anonymes mettent régulièrement en doute le CV du chercheur.
Wikipedia fonctionne tel un tribunal : un groupe de wikipédiens a décidé qu’Idriss Aberkane était coupable et, aujourd’hui, un consensus en la défaveur de l’essayiste est désormais établi. Pourtant, les discussions visibles sur le fil de la fiche d’Idriss Aberkane mettent en relief le fait que cette même communauté ne respecte pas les règles établies par Wikipedia. Pourquoi ? Parce qu’un groupuscule de participants — très organisé — s’applique à maintenir le désordre et à réfuter tout argument en faveur du scientifique. « Leur technique est simplissime et terriblement efficace : lorsqu’une intervention est proposée en faveur d’Idriss Aberkane, le contributeur est suspecté d’avoir comme commanditaire le principal intéressé », résume notre spécialiste en e-réputation, qui a remarqué que, tous les deux à trois jours, des utilisateurs anonymes n’hésitent pas à en remettre une couche sur le prétendu faux CV d’Idriss Aberkane. L’on voit ici comment un groupe de super-contributeurs wikipédiens a réussi, grâce à une union solide, à figer une version erronée et malveillante de la fiche du jeune auteur.
Le cercle vicieux de Wikipedia pour « blanchir » les sources
Chez Wikimédia France, on est aux abonnés absents depuis le début de l’été. Il faut dire que l’association a de nombreux autres problèmes à régler. Car depuis juillet, Wikimédia France est au cœur de plusieurs polémiques. Entre la communauté et les dirigeants de l’association, une véritable guerre ouverte se joue. Rien qu’entre février et mai derniers, près de la moitié des membres du conseil d’administration de Wikimédia France ont démissionné. La gouvernance de l’association est remise en cause, mais également sa façon de fonctionner. Depuis plusieurs années, d’autres affaires de pages Wikipédia, cette fois trop complaisantes, avaient été dénoncées par les internautes. Du côté de chez Wikimédia aux Etats-Unis, on estime d’ailleurs que « les actions qui sont menées (en France) sont en porte-à-faux avec les valeurs fondamentales du mouvement Wikimédia, telles que la transparence, la tolérance pour les opinions divergentes et la libre-parole ». Au Monde, la directrice exécutive de l’association française avoue même que « avec les outils numériques, il est facile de dépasser les bornes ». De quoi là aussi se poser quelques questions sur le fonctionnement plus global de Wikipédia.
Au-delà de la simple encyclopédie en ligne, la fiche Wikipedia d’Idriss Aberkane illustre en tout cas à elle seule le cercle vicieux : les sources critiques de la page d’Idriss Aberkane sont issues, pour la plupart, d’articles de blogs obscurs ou sites « de buzz ». Et même lorsqu’elles proviennent de sources plus prestigieuses, les articles sont à prendre avec des pincettes. Mais les médias mainstream reprennent bien souvent, mot pour mot, les sources citées qui deviennent, à leur tour, des sources qui passent du coup pour crédibles. Un « blanchiment » de source qui consolide alors la page Wikipedia, qui risque de rester dans son état actuel pour encore très longtemps permettant aux vérités alternatives de devenir des faits irréfutables grâce à la persévérance de quelques détracteurs parfaitement organisés…