Sur son compte Twitter, elle se définit comme « dessinatrice de trucs moches, mais qui veulent dire des choses. » Les dessins d’Emma sont simples mais sans tabous. La laïcité, le voile, les violences policières, la culture du viol, la maternité, le travail… autant de sujets graves et sérieux sur lesquels la dessinatrice tente de donner un autre regard et d’apporter une touche d’humour.
Ancienne ingénieure informaticienne, Emma 36 ans, est désormais dessinatrice à plein temps. Elle est devenue très populaire sur la toile, pour avoir fait connaître la notion de « charge mentale » qui incombe aux femmes : la contrainte de devoir organiser les tâches ménagères et de devoir penser à tout au quotidien pour la vie de famille. Une histoire partagée sur son blog, puis « likée » des milliers de fois sur les réseaux sociaux.
Récemment, elle a aussi apporté une contribution originale sur le port du voile. Dans une BD intitulée « Montrez-moi ces seins que je ne saurais voir », elle raconte une histoire en 2039 au pays imaginaire du « Maristan ». Une famille de Français a dû quitter son pays où règne la terreur et devient ainsi réfugiée. Mais au Maristan, on ne porte pas de soutien-gorge et on ne cache pas ses seins. La jeune fille de la famille refuse de se découvrir la poitrine à l’école et subit alors des moqueries et critiques de ses professeurs. « Ils m’ont dit que je perpétuais une pratique archaïque et incompatible avec les valeurs du Maristan », dit le personnage. A travers ces illustrations, la dessinatrice réalise une métaphore intéressante autour du voile, qui invite le lecteur à inverser les rôles.
Le 9 novembre dernier est paru « Un autre regard 2 » (Massot Editions), le second tome des bandes-dessinées d’Emma. A cette occasion nous l’avons interrogée sur ses inspirations pour ses dessins, avec lesquels elle espère bien réveiller les consciences sur notre société.
« Le dessin multiplie le pouvoir et le sens d’un texte »
LeMuslimPost : Pourquoi avez-vous décidé d’exprimer vos idées et coups de gueule à travers ces dessins et votre blog ?
Emma : Je lisais beaucoup d’articles intéressants mais j’avais dû mal à les faire partager. Alors j’ai décidé de les démocratiser à travers le dessin. Il n’y a pas besoin d’avoir fait des grandes études universitaires pour comprendre comment marche la sociologie et l’économie. On saisi très bien voire mieux des concepts féministes quand on est une mère célibataire avec trois enfants et qu’on cumule deux jobs pour survivre, que quand on est le président de la République avec un chauffeur, une nounou et une femme de ménage. Le dessin multiplie le pouvoir et le sens d’un texte, alors j’ai voulu raconter des histoires et montrer en quoi elles sont politiques.
On peut lire sur internet que vous êtes militante, féministe, anti-raciste, et anti-capitaliste. Est-ce ainsi que vous vous définissez ?
Au début je me disais féministe intersectionnelle mais en fait je ne peux pas vraiment l’être car je ne suis pas racisée. Je ne suis pas directement concernée par le racisme, alors je me vois plus comme une alliée. J’essaye de porter ce que je lis dans les groupes anti-racistes et de ne pas donner mon point de vue à moi. Je me dis aussi inclusive car j’essaye d’inclure les propos de personnes victimes de discriminations.
« Quels que soient les choix vestimentaires des femmes musulmanes, il faut simplement défendre ce droit à s’habiller comme elles le souhaitent »
Vous avez décidé d’apporter un « autre regard » sur le voile. Comment est venu cet intérêt pour ce sujet ?
Mon opinion sur le voile a évolué au cours de ces dernières années. Au départ j’avais un peu l’opinion de tout le monde, comme quoi cela signifiait que la femme était objet de tentation. Mais j’ai toujours été opposée à l’exclusion des filles voilées de l’école car j’estimais que la loi ne devait pas se mêler de ça. Puis je suis tombée sur le blog d’une convertie, une fille blanche et qui me ressemblait. Je crois que je l’ai plus écoutée que si c’était une femme racisée. Je trouve que cela est révélateur dans la façon dont nous sommes conditionnés à réfléchir. Cette femme avait décidé de porter le voile car elle se sentait mieux avec et cela m’a paru évident dans la façon dont elle l’expliquait. Le blog féministe de Crêpe Georgette m’a montré aussi en quoi le voile est instrumentalisé à des fins racistes.
Qu’avez-vous souhaité dire à travers l’histoire de la jeune fille du Maristan ?
L’histoire du Maristan a été écrite par une lectrice, qui s’appelle Ariane Papillon et que j’ai illustrée et publiée au moment de la polémique autour du burkini. Quand j’ai reçu ce texte je me suis dit qu’il permettrait à des femmes comme moi, qui ne sont pas concernées par ces discriminations, de comprendre ce que cela peut faire de devoir ce dévêtir sous les yeux de quelqu’un qui a une position d’autorité. On porte des vêtements pour des tas de raisons différentes. Et quels que soient les choix vestimentaires des femmes musulmanes, il faut simplement défendre ce droit à s’habiller comme elles le souhaitent.
« Tout est fait pour dépolitiser les sujets et protéger les institutions »
Vous avez dessiné l’histoire de Mohammed, un Egyptien victime de l’assaut de la police en novembre 2015 dans son immeuble, mais aussi celle de Adama Traoré. Pensez-vous que l’on doit davantage dénoncer les violences policières ?
Oui, car tout est fait pour dépolitiser les sujets et protéger les institutions. Quand il y a des agressions sexuelles par exemple, on va souvent dire qu’elles ont été commises par un fou. On refuse de parler de la notion de culture du viol et du système patriarcal qui favorise ces violences. Pour les violences policières c’est la même chose. Il ne s’agit pas seulement d’un policier qui va déraper car il a eu une mauvaise journée ou parce qu’il n’y a pas assez d’effectif. Il faut s’interroger plutôt sur les méthodes de formation de ces policiers et au rôle de la police en général.
Qu’est-ce qui actuellement vous met en colère dans l’actualité ?
J’aurais beaucoup à dire sur le Black Friday, d’un point de vue écologique et capitaliste. Mais il y a aussi quelque chose qui me fait peur en ce moment, c’est que le féminisme est devenu trop populaire. Le risque est que ce sujet important soit récupéré. Emmanuel Macron a fait une conférence féministe récemment, alors qu’il fait tout pour précariser les gens et les femmes en particulier. Il a fait appel à des féministes populaires pour mettre sous contrôle ce mouvement qui prend de l’ampleur. Ce qui est en train d’être récupéré, c’est un féminisme pour les femmes riches afin qu’elles puissent rentrer dans le modèle masculin de leadership et de carrière et je pense que c’est une erreur. Moi je n’encourage pas les femmes à devenir chefs d’entreprises et à écraser les autres femmes. Je souhaite le droit des femmes à être égale aux hommes mais aussi entre elles, quelles que soient leur couleur de peau, leur orientation sexuelle et leur confession.