Après toutes les polémiques récentes sur le « hijab day » et sur la sortie étonnante de la ministre Laurence Rossignol, nous avons voulu savoir qui se cachait sous les voiles de ces femmes dont on parle tant sans les entendre. Le livre « Des Voix derrière le voile », sorti il y a un an, est sans doute l’ouvrage de référence sur le sujet.
Mesdames, saviez-vous que quelques dizaines de centimètres carrés de tissu portés au mauvais endroit – sur votre tête, en l’occurrence – pouvaient gravement nuire à la qualité des soins que vous recevez à l’hôpital ? C’est la mésaventure, heureusement sans conséquences, qu’a vécue Djamila lors de son second accouchement : alors que la descente du bébé était déjà bien entamée, la sage-femme lui a tout simplement signifié de rentrer chez elle. Pourquoi cette erreur d’appréciation ? Parce que voilée, la patiente était automatiquement considérée par la praticienne comme atteinte du « syndrome méditerranéen », selon lequel les futures mères maghrébines auraient tendance à exagérer leurs symptômes et leurs douleurs… Un comble pour cette jeune trentenaire, professeur de français, dont la peau laiteuse et les yeux bleus ne trahissaient en rien les origines algériennes…
Un véritable travail de recherche sociologique
Racisme qui ne dit pas son nom, infantilisation, préjugés à l’emporte-pièce : cette anecdote cristallise à elle seule les multiples vexations – quand il ne s’agit pas d’agressions, verbales et physiques – que subissent régulièrement Djamila et les neuf autres femmes rencontrées par Faïza Zerouala au quatre coins de la France. Mue par un intérêt marqué pour le débat sur le voile et par sa proximité cultu(r)elle avec les principales concernées, la journaliste propose, avec « Des Voix derrière le voile », plus qu’une enquête, un véritable travail de recherche sociologique. Faïza Zerouala a parfaitement relevé le défi qu’elle s’était fixé : donner la parole à celles qui ont choisi de porter le voile pour raison religieuse, celles sur qui chacun possède un jugement tranché et définitif mais, au final, tronqué et hâtif. Les récits de vie, qui constituent les dix chapitres centraux du livre, sont précédés chacun par une présentation du contexte de l’interview par l’auteur et restitués à la première personne. Le recours à cette forme particulière d’entretien optimise la liberté d’expression des intéressées, tout en minimisant les possibilités d’interférence de la part de la journaliste. Des notes de bas de page, relativement nombreuses, apportent un éclairage et des rappels bienvenus sur les préceptes de l’Islam et de sa pratique, sans pour autant entraver la lecture.
Parents, fratrie, mari : souvent les premiers détracteurs
Mobiliser cet arsenal méthodologique était un prérequis pour accéder à l’intimité de ces femmes, qui toutes, sauf une, ont exigé l’anonymat. Et qu’en ressort-il ? Même si l’échantillon n’est pas représentatif, la diversité des profils interviewés – de la lycéenne à la retraitée, en passant par la convertie et la « dé-voilée » – ne laisse planer aucun doute : la décision de se voiler a été, à chaque fois, réfléchie, personnelle et libre. « Les médias nous caricaturent. Les femmes voilées sont infériorisées. On nous prend de haut et on nous fait passer pour des femmes soumises. Je le vis au quotidien. Face à moi, les gens changent de comportement. Au début, on m’infantilise. Ça cesse dès que j’ouvre la bouche, quand mes interlocuteurs réalisent que je parle français et que je ne suis pas si bête que ça. »
Loin d’être encouragée, la décision de porter le voile se heurte à la réprobation des cercles familial et amical : les parents, la fratrie, voire le mari, sont souvent les premiers détracteurs, les uns inquiets pour l’avenir et la carrière, les autres moquant une lubie qu’ils estiment éphémère. Si les réactions clairement hostiles sont le fait de l’entourage professionnel, d’inconnus ou des médias, il n’en reste pas moins que les jugements les plus sévères portés sur la manière de se voiler émane avant tout des coreligionnaires, qui se jaugent constamment sur leur supposée meilleure conformité aux préceptes islamiques. Il y a autant de voiles et de manières de le porter que de parcours, innombrables et singuliers à la fois.
Même si toutes ces femmes rêvent de vivre pleinement leur foi et d’apporter leur contribution citoyenne en France, les obstacles quotidiens y sont tels que beaucoup songent à répondre à « l’appel de Londres », considérée comme l’eldorado de la coexistence pacifique des communautés culturelles. Elles rêvent, paradoxalement, d’invisibilité. Espérons pour elles que le coup de projecteur, bien que nécessaire et salutaire, de Faïza Zerouala soit enfin le dernier.
« Des Voix derrière le voile », de Faïza Zerouala, aux éditions Premier Parallele.