Déjà plombé depuis plusieurs mois par des soupçons de dons illicites venus de l’étranger, le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) doit faire face depuis début juillet à des tensions internes entre sa direction et ses éléments les plus extrémistes.
Samedi, son dirigeant en Thuringe, un Land de l’Est où l’AfD est puissante, a provoqué une fois de plus des turbulences.
Björn Höcke, chef de file de « L’aile », la frange la plus radicale du parti officiellement placée sous surveillance par les services de renseignements, s’en est pris vertement devant ses partisans à la direction de sa formation.
« Culte de la personnalité »
Celui qui avait échappé à une exclusion de l’AfD pour avoir qualifié le Mémorial de la Shoah de « monument de la honte » en 2017 s’est même permis, sous les applaudissements de ses supporters, d’appeler à un renouvellement dans les prochains mois chez les dirigeants.
La riposte ne s’est pas fait attendre. Une centaine de cadres ont écrit une lettre ouverte, intitulée « Pour une AfD unie et forte » pour accuser M. Höcke d’avoir « violé la solidarité interne du parti et ainsi poignardé dans le dos les militants ». Les signataires dénoncent en outre le « culte de la personnalité » qui entourerait ce dirigeant régional dans son fief.
Le chef du parti, Alexander Gauland, a lui même tapé du poing sur la table en soulignant que l’AfD n’avait pas été fondée pour « créer un espace où tout le monde peut dire n’importe quoi ». Des documents internes, cités dans la presse, évoquent même une tentative d' »infiltration » des arcanes du parti par des ultra-radicaux.
Des luttes intestines similaires secouent également les fédérations de Bavière et de Rhénanie du Nord-Westphalie.
Et dans une autre région, le Schleswig-Holstein, les militants de l’AfD locale ont élu fin juin à leur tête Doris von Sayn-Wittgenstein, pourtant visée par une procédure d’exclusion en raison de ses liens avec un groupuscule ultra-radical.
« Illusion naïve »
Fondée en 2013, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a fait une entrée fracassante au Bundestag il y a deux ans, surfant sur l’usure des partis traditionnels et l’ouverture des frontières à des centaines de milliers de réfugiés syriens et irakiens.
Plafonnant dans les sondages depuis des mois autour de 12-14%, le parti d’extrême droite peine à incarner son ambition : être la principale opposition à la coalition d’Angela Merkel, elle-même très fragile.
Il est désormais largement supplanté par les Verts, qui atteignent 25% des intentions de vote et séduisent les jeunes électeurs.
L’AfD reste néanmoins puissante en ex-Allemagne de l’Est, où, 30 ans après la chute du Mur, elle pourrait arriver en tête après l’été dans plusieurs élections régionales, de quoi déstabiliser encore la chancelière et sa coalition.
Mais à l’échelle fédérale, son discours islamophobe fait moins recette avec la fin de l’afflux massif de demandeurs d’asile venus du monde arabo-musulman.
Son climato-scepticisme pose aussi problème. Jusqu’en interne même. Après un score décevant aux élections européennes (10,97%), la jeunesse du parti, Junge Freiheit, a appelé la direction de la formation à cesser de nier la réalité de l’urgence climatique, d’autant que cette thématique est en tête des priorités des Allemands.
Pour Alexander Gauland, 78 ans, le parti traverse donc sa « crise de puberté » et celle-ci, reconnait-il, risque d’entraver ses efforts pour attirer les déçus de la droite conservatrice CDU d’Angela Merkel, après 14 ans de règne ininterrompu.
Ces turbulences risquent en outre de doucher la volonté exprimée par certains cadres de la CDU de bâtir des coalitions locales avec l’AfD, une option jusqu’ici exclue par Mme Merkel et sa dauphine présumée, Annegret Kramp-Karrenbauer.
« Le rêve de Gauland d’une force qui rassemblerait conservateurs et radicaux s’avère de plus en plus être une illusion naïve », résumait mercredi le Frankfurter Allgemeine Zeitung.