La redoutée police religieuse saoudienne a été marginalisée dans le cadre de la politique de relative libéralisation engagée par le royaume ultraconservateur, mais cette nouvelle loi sur la « décence dans l’espace public » montre que la réforme est loin d’être aussi réelle qu’on le croit.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane disait vouloir débarrasser l’Arabie saoudite de son image de pays ultraconservateur avec la réouverture de salles de cinéma, des concerts mixtes et autres spectacles. Des opérations de communication plutôt qu’un véritable changement.
Des nouvelles normes sociales relativement décontractées dans un pays où tout écart était jusque-là interdit ont été bien accueillies par de nombreux Saoudiens, dans un pays où les deux tiers de la population ont moins de 30 ans.
Mais le royaume ne semble pas avoir renoncé totalement à la surveillance des comportements, une nouvelle loi sur « la décence dans l’espace public » ayant été approuvée par le cabinet en avril.
La loi veut faire respecter les « valeurs et principes » saoudiens, en interdisant par exemple les vêtements jugés « offensants pour le goût général » notamment les shorts pour les hommes, selon les médias locaux.
Les contrevenants risqueraient une amende pouvant aller jusqu’à 5.000 riyals (1.333 dollars).
Appelé officiellement Comité de promotion de la vertu et de prévention du vice, « le Haïa (la police religieuse) est de retour sans la barbe », a estimé sur Twitter Sultan al-Amer, un universitaire.
Dans un pays régi par une vision rigoriste de l’islam, les membres de cette police veillaient, parfois brutalement, au respect de la morale islamique en vertu de laquelle par exemple, les hommes et les femmes devaient êtres séparés dans l’espace public.
« Le changement, un art »
La loi, vague à dessein, peut se prêter à différentes interprétations et entraîner des sanctions arbitraires, soulignent ses détracteurs. Elle est commentée avec sarcasme sur les réseaux sociaux.
Le hashtag en arabe « les shorts ne portent pas atteinte à la moralité publique » est vite devenu viral.
« C’est l’Arabie saoudite qui rencontre Singapour », a commenté Kristin Diwan, de l’Arab Gulf States Institute à Washington.
« Les dirigeants saoudiens veulent saper les fondements islamistes de la société, tout en conservant un pouvoir absolu dans les domaines de la politique et de l’ordre public », a-t-il dit à l’AFP.
Les médias progouvernementaux ont indiqué que la loi devait être appliquée à partir du 25 mai, le ministère de l’Intérieur et l’Autorité du tourisme étant chargés de la faire respecter.
Mais le 27 mai, ces mêmes médias ont affirmé qu’elle n’était pas encore entrée en vigueur, sans préciser de nouvelle date.
La nouvelle loi est « un effort pour atténuer les pressions des conservateurs au sein de la société, qui accusent le gouvernement de laisser-aller », explique Ali Shihabi, du groupe de réflexion prosaoudien Arabia Foundation.
« Conduire un changement social est tout un art car il faut aller le plus loin possible sans provoquer de contre réaction. Ce qui n’est facile! ».
Effort de modernisation
Le prince Mohammed, qui a concentré tous les pouvoirs, a réduit le rôle politique de l’establishment religieux ultraconservateur tout en encourageant un nationalisme prononcé dans le cadre d’une réorganisation historique de l’Etat saoudien.
Le dirigeant de facto du royaume s’est donné l’image d’un réformateur, tout en arrêtant des religieux, dont certains sont perçus comme modérés, et en contrôlant étroitement le discours religieux.
Beaucoup d’autres religieux semblent suivre désormais la ligne officielle.
Ayedh al-Qarni, un salafiste, a récemment présenté à la télévision des excuses pour ses interprétations passées de l’islam et mis tout son poids derrière le jeune prince.
Adil al-Kalbani, ancien imam de la Grande mosquée de La Mecque, a remis en cause l’interdiction de la mixité dans l’espace public.
Pourtant, la transformation sociale semble susciter le ressentiment dans les milieux conservateurs.
L’année dernière, une vidéo virale d’une femme saoudienne voilée et d’un homme dansant dans une rue animée a provoqué la fureur sur les réseaux sociaux.
« Où est la police religieuse ? », ont demandé certains internautes.
De tels appels ne pourraient que s’amplifier avec les projets destinés à créer un secteur du divertissement comparable à celui de Dubaï.
Mais pour tester les réactions, des religieux autoproclamés commencent à s’opposer à la fermeture des magasins pendant les prières et soutiennent l’ouverture d’une boîte de nuit halal pendant un festival culturel dans la ville de Jeddah, dans l’ouest du pays.