Asma Jahangir est décédée le 11 février dernier à Lahore. Elle est née en 1952 au Pakistan, devenant rapidement une avocate engagée et s’opposant à la dictature militaire.
« Pendant des dizaines d’années, Asma s’est battue courageusement pour les personnes les plus défavorisées du Pakistan, souvent au péril de sa vie. Elle a défendu la cause des femmes, des enfants, des travailleurs forcés, des minorités religieuses, des journalistes, des disparus et de nombreuses autres personnes. Elle affrontait l’injustice partout où elle la voyait », la présente Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.
Son parcours est remarquable. Dès l’adolescence, elle commence à organiser des manifestations. A 18 ans seulement, elle rédige sa première plainte et se bat pour faire libérer son père, Malik Ghulam Jilani (arbitrairement incarcéré par le régime militaire du général Yahya Khan au pouvoir). Elle obtient un arrêt historique de la Cour suprême.
Puis en 1980, elle fonde avec sa sœur, Hina Jilani, le tout premier cabinet d’avocats exclusivement féminin du Pakistan, à Lahore.
Trois ans plus tard, Asma Jahangir va défendre une jeune non-voyante tombée enceinte à la suite d’un viol. Sa cliente est considérée comme adultère et risque la prison et des coups de fouet. Elle est finalement graciée.
En 1995, un adolescent accusé de blasphème échappe à la peine de mort grâce à elle
Cette fervente militante des droits des femmes a également été l’une des dirigeantes du Forum d’action pour les femmes (Women’s Action Forum, WAF). Elle s’est régulièrement opposée aux ordonnances discriminatoires à leur encontre. Elle a entre autres obtenu de la Cour suprême qu’une femme puisse se marier sans l’autorisation d’un tuteur.
Mais en 1983, Asma Jahangir et d’autres manifestantes du Forum d’action pour les femmes ont été brutalisées par la police. Elle est alors arrêtée pour la première fois.
Soutenant également les minorités religieuses, elle prend la défense en 1995 d’un jeune chrétien de 14 ans, accusé de blasphème. « Ce jour-là, je me suis dit, parce que mon fils avait le même âge, comment est-ce que je me sentirais en tant que mère, si je vis et que ce garçon va dans la cellule des condamnés à mort », avait-elle confié. Il sera finalement acquitté grâce à elle.
Mais durant la procédure, Asma Jahangir est agressée, harcelée, et menacée de mort. Craignant pour la sécurité de ses filles, elle les enverra à l’étranger pour qu’elles puissent y poursuivre leur scolarité. « Ils ont tout fait pour m’intimider. Ils s’en sont même pris à mes deux filles. Parfois, le prix à payer pour défendre ses convictions est intolérablement élevé », avait elle confié à Amnesty International à l’époque.
Son courage est salué en 1995, lorsque la militante est désignée deuxième lauréate du Prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits humains. Elle recevra par la suite de nombreuses récompenses internationales.
Elle occupera aussi les fonctions de rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions sommaires et sur la liberté de religion. En 2005 elle est également pressentie pour le prix Nobel de la paix.
Asma Jahangir, première femme élue présidente du barreau de la Cour Suprême
Mais ses combats pour la justice lui vaudront aussi d’être assignée à résidence en 2007, alors qu’elle participait à un mouvement d’avocats pour restaurer la démocratie. Le président Musharraf avait déclaré l’état d’urgence, suspendu la Constitution et avait arrêté arbitrairement des centaines de personnes, notamment des juges, des opposants politiques et des défenseurs des droits humains.
En 2010, Asma Jahangir a aussi été la première femme élue présidente du barreau de la Cour Suprême, malgré une campagne de diffamation contre elle et sa famille.
Un de ses derniers combats était la pratique illégale des disparitions forcées, de plus en plus nombreuses ces derniers mois au Pakistan. Trois jours avant sa mort, elle avait d’ailleurs abordé cette question épineuse lors de son dernier discours en public.
Malgré toutes ces injustices, Asma Jahangir se voulait plutôt optimiste concernant les droits de l’homme au Pakistan. Elle avait notamment déclaré lors d’une interview : « Il n’y a pas si longtemps, les droits de l’homme n’étaient même pas perçus comme un problème dans ce pays, puis les droits des prisonniers sont devenus un problème, les droits des femmes étaient perçus comme un concept occidental, maintenant les gens parlent des droits des femmes, les partis politiques en parlent, même les groupes religieux en parlent. »
Mais cette militante n’est pas seulement un modèle pour le Pakistan, comme le rappelle Amnesty International dans un communiqué : « La mort soudaine d’Asma est une perte non seulement pour le Pakistan, ou pour l’Asie du Sud, mais aussi pour le mouvement des droits humains dans le monde entier. Elle laisse derrière elle un héritage remarquable, que nous nous devons tous d’honorer en donnant la parole à ceux qui ne sont pas entendus ».