« Il faut arrêter de parler d’intégration, cela n’a rien à voir avec l’intégration », s’agace Abdellatif Boutaty, président de l’Association des musulmans de la Côte basque, dont la toute récente et élégante mosquée de Bayonne, inaugurée en 2014, a été la cible de l’attaque lundi.
Les deux septuagénaires blessés par les tirs de l’assaillant, un ancien candidat d’extrême droite, étaient mardi matin dans un état stationnaire, après des opérations la veille.
« Vrai choc », « peine », « surprise », reviennent dans les mots des fidèles, encore peu nombreux mardi matin à profiter de la salle polyvalente mise à leur disposition temporairement, à 2 km à peine de la mosquée, fermée pour cause d’enquête.
Abdellatif Boutaty souligne à l’AFP que la communauté musulmane de l’agglomération, forte de « 600, 700 fidèles peut-être », installée depuis deux, trois générations, « n’a jamais eu de problème ».
Lui-même est un symbole de cette intégration. Solide (1,95 m, 118 kg), il fut rugbyman professionnel pendant 15 ans, dont cinq saisons sous le maillot de l’Aviron bayonnais, disant se sentir aujourd’hui « plus basque que les Basques », du nom des habitants de cette région.
« Nous n’avons absolument jamais eu de problème avec la communauté musulmane, très intégrée à la vie de la cité », réaffirme le maire Jean-René Etchegaray à l’AFP.
– « Climat catalyseur » –
Certes, il y eut des précédents, mineurs, à l’attaque de la mosquée. Comme en août 2017, lorsqu’un engin incendiaire avait été lancé une nuit, endommageant un climatiseur extérieur. Ou des tags haineux et racistes dans les jours suivant l’attentat contre le magazine satirique Charlie Hebdo, à Paris, en 2015. Mais Bayonne fut alors loin d’être la seule cible.
« La ville de Bayonne n’est pas connue pour ses quartiers chauds ni pour son communautarisme musulman », insiste Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux, la capitale régionale, et figure progressiste de l’islam français. « Mais la bêtise ne connaît ni le temps, ni la géographie ».
A mesure que des témoignages confirment le profil « perturbé », « colérique », « en besoin de conflits » de l’octogénaire tireur présumé, les musulmans de Bayonne pointent du doigt « l’acte isolé », de quelqu’un « en marge de la société ».
« On ne va pas mettre tout le monde dans le même sac, cette personne ne représente que lui-même », soupire Mohammed, fidèle de la mosquée de Bayonne.
Un acte isolé peut-être, mais nourri de débats qui peuvent « créer la psychose dans la société française », se désole Tareq Oubrou. En mélangeant islam, foulard, communautarisme, « la parole politique peut favoriser la violence. La confusion sémantique conduit à la confusion mentale, surtout pour un citoyen à l’esprit instable ».
« Ce n’est pas un problème d’intégration, c’est un problème des politiciens, des médias, qui stigmatisent les choses en parlant sans cesse de foulard, de voile », tonne M. Boutaty, déplorant « une hystérie artificiellement créée ».
Le jour où l’attaque a eu lieu, le président Emmanuel Macron recevait à Paris les responsables du Conseil français du culte musulman (CFCM), les exhortant à « combattre » davantage l’islamisme et le communautarisme, responsable selon lui d’une forme de « séparatisme » en France, pays d’Europe occidentale à la plus importante communauté musulmane (7,5% de la population).
Et ce mardi, le Sénat débat d’une proposition de loi de la droite visant à interdire le port de signes religieux aux parents accompagnant des sorties scolaires. Ce sujet, toujours très sensible dans une France très attachée à la laïcité, a récemment suscité une nouvelle polémique avec la prise à partie d’une mère voilée accompagnatrice par un élu de l’extrême droite.
Le responsable pour la région de Bayonne du Conseil français du culte musulman, Fouad Sanaadi, en conclut: « quand bien même l’enquête révélerait que l’agresseur est atteint d’instabilité psychologique, cela n’empêche pas que le climat actuel est un catalyseur ».