« Burn Country » commence dans un théâtre aux lumières tamisées.Rachel Brosnahan (House of Cards) est assise en tailleur sur scène, et récite un texte en polonais, tandis que derrière elle, roule un homme nu attaché à une roue en bois. La séquence d’ouverture laisse le spectateur perplexe, introduit la minute d’après au personnage principal interprété par l’acteur – d’origine iranienne – Dominic Rains. Osman, assis dans la salle, écarquille les yeux, émerveillé de manière presque enfantine devant le jeu de la jeune actrice alors qu’elle répète une même phrase avec une étrange intensité. Les intentions du réalisateur et coscénariste, Ian Olds, sont claires : nous sommes tout aussi étrangers au monde dans lequel nous sommes plongés, que le protagoniste. Réfugié afghan, Osman a pu quitter son pays grâce à Gabe (James Oliver Wheatley), reporter de guerre dont il était l’interprète et guide en Afghanistan. Il vit chez la mère de ce dernier, Gloria (Melissa Leo), shérif de comté dans un petit patelin du nord de la Californie.
L’histoire se déroule dans un lieu où s’étendent les plages du Pacifique et des forêts de pins, couvertes de brume ; il s’en dégage une aura mystérieuse. Osman entreprend de démarrer une carrière journalistique, on lui confie la chronique policière locale. Cependant, il veut faire plus que recopier des rapports policiers, il s’associe alors brièvement avec Lindsey – un méconnaissable James Franco – familier avec tous les crimes locaux, avant qu’il ne disparaisse mystérieusement suite au meurtre d’un brigand. Alors que personne ne semble se préoccuper de sa disparition, Osman décide de mener sa propre enquête. C’est dans un style néo-noir que s’inscrit ce film indépendant, réalisé avec un petit budget. Originellement intitulé « The Fixer », il est l’histoire alternative imaginée par Ian Old et son coscénariste, Paul Felten, du documentaire que le réalisateur a sorti en 2009. « Fixer : The Taking of Ajmal Naqshbandi » traite de l’histoire de l’Afghan Ajmal Naqshbandi guide et interprète du journaliste italien Daniele Mastrogiacomo. Les deux furent kidnappés par les talibans mais seul Ajmal fut tué. De cette tragédie est née une comédie noire sur la vie d’un interprète afghan qui aurait réussi à échapper à la dure réalité de son pays.
Conscients de nos différences, on accepte celles des autres
A travers la belle esthétique d’un milieu sauvage et imprévisible est dépeinte une communauté aux semblants hippies et au physique agressif. Osman se retrouve confronté à des codes et à des règles mystérieux. Parachuté dans des soirées tribales dont la majorité des participants sont au-dessus de la cinquantaine, il tombe sous le charme de Sandra (Rachel Brosnahan) alors dans une relation libre avec Carl (un charismatique Tim Kniffin) metteur en scène de la pièce avant-gardiste du début du film. Néanmoins, tout sentiment semble instable, confus et complexe à identifier, dans ce monde peuplé par des personnes qu’il s’efforce de comprendre. D’une naïveté attachante, Osman est perdu.
Dominic Rains endosse le rôle à la perfection, celui d’un homme qui a passé la plus grande partie de sa vie à survivre en Afghanistan, qui se retrouve désorienté dans un univers aux valeurs humaines excentriques (ou au contraire celles brutes, de l’état naturel) dans lequel la mort possède une différente symbolique. Une pièce qui s’emboîte parfaitement dans le puzzle qu’est le cycle de la vie. En effet suite à la mort de l’homme au début du film, s’ensuit à la fin, une naissance. « Burn Country » est un film d’une grande tendresse dont les personnages sont en orbite autour d’une galaxie aux effluves mystiques. Rempli d’humanité, ses personnages intrigants, sont aussi attachants et qu’imprévisibles. Conscients de leur différence, ils acceptent celle d’Osman en opposition à l’idée d’une Amérique blanche, conservatrice et raciste dont la menace (ou semi-réalité) plane aujourd’hui.