Un bref coup d’œil suffit. Il vient immédiatement à l’esprit que la Une du dernier numéro de Charlie Hebdo va entretenir le fantasme selon lequel tout musulman est un terroriste potentiel tuant des enfants. Il ne s’agit pas, cette fois, de faire de l’humour, de se moquer d’une religion. Il ne s’agit pas non plus de la critiquer. Toutes les religions — en particulier les trois religions monothéistes — sont critiquables dans un pays laïque et respectueux de la liberté d’expression comme la France. C’est un droit mais cette fois, ce n’est pas le sujet.
Si l’objectif de Charlie Hebdo est de susciter une nouvelle controverse afin de vendre du papier, il sera atteint. Mais ce sera au prix d’un cynique processus d’attisement des tensions identitaires, dont il est toujours utile de rappeler qu’il est issu de l’extrême droite, et que l’ensemble de l’échiquier politique se l’est approprié à différents degrés.
« C’est une volonté de clivage social qui s’exprime avec cette Une »
Le message que cette Une envoie à la société française, et en particulier à la jeunesse des quartiers populaires qui constitue une partie — mais une partie seulement — des « Je ne suis pas Charlie » de 2015, est celui-ci : la stigmatisation, dont vous faites l’objet pour votre lien, réel ou supposé, à l’Islam est légitime ; peu importent les discriminations qui en découlent, dans la sphère scolaire ou professionnelle, que de nombreux travaux ont démontrées. L’Islam a ceci de particulier, en France (et ailleurs en Europe ou aux Etats-Unis), qu’il suscite aisément la peur, la haine, le rejet, la confusion avec le terrorisme. Qui l’ignore ? Qui le nie hormis l’extrême droite ?
Au lieu de l’apaisement, de la lutte contre les assignations identitaires et contre les haines racistes, c’est donc une volonté de clivage social qui s’exprime avec cette Une. Ce choix s’avère d’autant plus paradoxal que le slogan « Je suis Charlie » invitait à l’unité nationale, à la paix, à la tolérance, et même au refus des amalgames. Une unité nationale à géométrie variable ?
« La pensée complexe échappe à Charlie, c’est un fait »
Les ressorts de l’engagement dans le djihad sont nombreux, complexes, cumulatifs, collectifs et individuels, comme le montrent de nombreuses études, en particulier celle, récente, dont Le Monde s’est fait l’écho, menée par des chercheurs spécialistes de la violence politique. Les ressorts du djihadisme ne sont pas religieux. La religion est un prétexte à la violence, pas sa raison.
Si l’on devait trouver un point commun entre les djihadistes, ce serait celui de l’obsession de défendre et de correspondre à une masculinité hégémonique et hétéronormée. Elle existe pareillement chez les suprémacistes blancs de Charlottesville, aux Etats-Unis, ou chez ces hommes qui, aux Îles Féroé, massacrent, devant leurs fils, des dauphins à coup de crochet pour « souder le groupe ». La pensée complexe échappe à Charlie, c’est un fait. Peu lui importent visiblement les effets, sur le réel, de cette « négligence ».