samedi 23 novembre 2024
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Colonisation, ce que chaque polémique révèle

La France n’en a pas fini de se rouler dans la honte et le déni au sujet de ses crimes pendant l’ère coloniale. Pour preuve, la récente polémique autour d’Emmanuel Macron qui s’était distingué avec une première déclaration en faveur de la colonisation qui aurait selon lui apporté la civilisation; puis pendant son déplacement en Algérie, il a fait un volte face en déclarant que « la colonisation a été un crime contre l’humanité » puis nouveau volte face ; beaucoup avaient applaudi : « Super on va voter Macron ! » Mais preuve de son courage politique, il a de nouveau changé d’avis en s’excusant auprès de ceux qui auraient été blessés et qui « aimaient l’Algérie plus que les Algériens aux mêmes. »

« Il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles (…) de civiliser les races inférieures »

De l’autre côté, Jean-Luc Mélenchon est intervenu sur Europe 1 et a affirmé qu’il fallait parler de la colonisation « avec précaution », comme si les massacres perpétrés pendant la colonisation ou la guerre d’Algérie avait été perpétrés « avec précaution. » Pour couronner le tout, Valérie Pécresse, présidente du Conseil régional d’Ile-de-France, est montée au créneau à la radio en s’en prenant à Macron qui aurait selon elle « comparé Jules Ferry à Hitler. » Mais peut-on vraiment comparer Jules Ferry à Adolphe Hitler ? Au lecteur de juger.

Dans un discours à l’Assemblée Nationale le 28 Juillet 1885, Jules Ferry déclarait : « Il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles (…) de civiliser les races inférieures. » Cette théorisation des races supérieures et inférieures n’était pas nouvelle, Gobineau l’avait déjà théorisée dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines »;  mais que Jules Ferry porte ce discours à l’Assemblée Nationale est lourd de sens et de conséquence.

Mais était-il seul ? Absolument pas. Les massacres de la colonisation étaient théorisés et justifiés aussi bien par l’élite politique que l’élite intellectuelle. Ainsi, Ernest Renan, un des pères de l’orientalisme écrivait dans sa « Réforme intellectuelle et morale » de 1871 : « Nous aspirons, non pas à l’égalité, mais à la domination. Le pays de race étrangère devra redevenir un pays de serfs, de journaliers agricoles ou de travailleurs industriels. Il ne s’agit pas de supprimer les inégalités parmi les hommes, mais de les amplifier et d’en faire une loi. »

« Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays »

Par ailleurs, pendant que les morts se comptaient par milliers durant la conquête de l’Algérie, ce qu’on appelait « la pacification », Alexis de Tocqueville, qu’on considère comme un grand penseur, écrivait dans son « Travail sur l’Algérie » : « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux. »

Cette pensée raciste s’est même illustrée dans ce livre qu’on a tous étudié au lycée. Vous vous souvenez de « Bel Ami » ? Où Maupassant décrit « l‘Arabe étant un peu considéré comme la proie naturelle du soldat. » Les massacres commis en Algérie, au Congo français, au Gabon, Centrafrique, à Madagascar, en Indochine, ou dans les possessions d’Outre Mer, n’étaient pas des accidents ni des évènements isolés ou des excès. Ils avaient été théorisés et mûrement réfléchis.

Beaucoup sont nés avant la honte et ceux qui aujourd’hui minimisent l’oeuvre abjecte de la colonisation sont les mêmes qui aujourd’hui minimisent le racisme qui gangrène la société française. Si l’œuvre coloniale Française était civilisatrice, les Algériens n’auraient pas eu un statut de citoyens de seconde zone et il n’y aurait pas eu de code de l’indigénat. Si l’œuvre coloniale était civilisatrice, la France reconnaitrait ses crimes comme tout pays civilisé voulant avancer.

Mais que personne ne se fasse d’illusion. Après avoir elle-même commis des génocides en son nom propre, la France a joué un rôle actif dans le génocide rwandais en 1994 et est resté silencieuse pendant le génocide commis à l’encontre des musulmans de Bosnie. C’est à croire que les pulsions génocidaires font partie de l’ADN française au point d’avoir défiguré la conscience. Cette barbarie de la colonisation a déshumanisé la conscience collective française.

Effectivement, « l’œuvre » coloniale française n’était pas isolée, l’Angleterre et la Belgique ont aussi contribué à dessiner cet imaginaire occidental fait de domination au détriment du reste du monde. Même Marx a cessé d’être révolutionnaire en justifiant la colonisation de l’Inde par l’Angleterre qui avait « une double mission: l’une destruction, l’autre régénératrice » ou de « dissoudre ces organisations inoffensives (…) » en Algérie.

Aujourd’hui, même lorsqu’il s’agit de millions de morts, l’élite occidentale refuse de reconnaitre sa contribution négative à l’histoire de l’humanité et sa descendance représentée aujourd’hui par ceux qui gouvernent, toujours incapables de reconnaitre l’héritage honteux de leurs prédécesseurs et de s’en défaire pour écrire leur propre page. C’est à n’y rien comprendre. Cette élite préfère donc vivre dans la honte et la transmettre à ses enfants au lieu de s’honorer par une reconnaissance de laquelle ils sortiraient grandis.

C’est de cet héritage colonial que découlent les crimes racistes de la police traités avec tant d’indulgence dans les tribunaux. C’est cet héritage colonial qui permet à un Jean-Pierre Chevènement de justifier les viols d’enfants et les actes de zoophilie par des soldats français en République Centrafricaine, ou encore pour cet odieux personnage de demander aux musulmans d’être discrets alors qu’eux aussi comptent leurs victimes du terrorisme en France par dizaines. Cet héritage colonial est même brandi comme un trophée avec ces rues que nous arpentons et qui portent le nom de ceux qui ont théorisé la déshumanisation des peuples de couleur. Je doute que cela soit accidentel. Ces rues honorent ces criminels pour rappeler que l’élite française n’est pas prête de se désolidariser du terrorisme dont elle a bénéficié et duquel elle continue de tirer profit.

Ce complexe de supériorité et ce privilège blanc que personne ne veut voir n’est qu’une vision primitive du monde et nous mènera vers de nouveaux suicides collectifs comme ce fut le cas par le passé. Je pourrais blâmer notre système politique qui ne promeut pas le courage et la vérité mais plutôt la lâcheté et le mensonge mais ceux qui s’y vautrent en ont fait le choix délibéré et si eux aussi estiment qu’il faut être solidaire des criminels du passé, ce sera leur décision et ils devront alors accepter d’être sans cesse confrontés au refus des descendants d’esclaves et des peuples colonisés, d’oublier ou de pardonner. Tout comme il serait impensable que l’Allemagne passe sous silence les crimes du régime nazi, nous avons l’obligation morale de ne jamais passer sous silence ce que la France a commis.

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