Une élection victorieuse sans discours antimusulmans… C’était hier en Espagne, à l’occasion des élections générales. Et si le parti citoyen Podemos n’est pas arrivé en tête, il a cependant frappé un grand coup. Pourquoi, alors que la France s’est tournée vers le FN, l’Espagne a-t-elle préféré voter à gauche pour montrer sa désapprobation de la classe politique ?
Ils sont jeunes – leur leader, Pablo Iglesias, n’a que 37 ans – et sont en train de révolutionner la politique. Cela se passe en Espagne et, ce dimanche, le tout récent parti de gauche Podemos a recueilli plus de 20 % des voix lors des élections législatives. Plutôt citoyens que politiques, les membres de Podemos ont fait campagne sur deux thèmes : la lutte contre les inégalités et celle contre la corruption. Là où, il y a quelques jours, les Français mécontents se sont tournés vers le Front national, les Espagnols ont, eux, donné leur voix à un parti de gauche, qui enterre par la même occasion le Parti socialiste ibérique.
De l’indignation aux élections
Il faut dire qu’ils dénotent, les membres de Podemos : ils sont habillés normalement, ne sortent pas d’écoles réservées aux futurs hommes politiques et parlent aux gens de leur quotidien. Loin du populisme à la Marine Le Pen. Bref, ce sont des personnes normales – Pablo Iglesias était précaire lorsqu’il travaillait à l’université, ne gagnant que 900 euros par mois – qui parlent à d’autres personnes normales. « Podemos prône un tournant dans les politiques économiques d’austérité vers davantage de redistribution sociale. Il propose un « plan de sauvetage des citoyens » à l’image du plan de sauvetage des banques espagnoles, explique Héloïse Nez, qui a écrit « Podemos, de l’indignation aux élections ».
Pour Andres Ortega, ancien éditorialiste du quotidien El Pais et auteur de « Recomposer la démocratie », Podemos est un parti à part dans le paysage européen. Pourquoi Allemands et Français se tournent-ils vers la droite extrême et pas vers la gauche ? Selon lui, en Espagne, « il n’y a pas eu de discours antimusulman comme dans le reste de l’Europe. L’état a donné plus de moyens à la police et aux services de renseignements mais il n’y a pas eu de mesure restreignant les libertés. » Pour Podemos, il faut « garantir l’accès à l’eau, consolider le droit à la santé et à l’éducation », indique Héloïse Nez. La politique du parti citoyen est de mettre les dirigeants face à leurs responsabilités. Alors qu’en France, « les questions économiques et sociales sont vues à travers le prisme de la recherche de boucs émissaires dont les immigrés, et en particulier les musulmans », ajoute Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic.
L’Espagne à gauche toute
En réalité, l’Espagne s’est « gauchisée », là où la France se « droitise. » Depuis de trop nombreuses années, les parti politiques courent après le Front national. En Espagne, on parle aujourd’hui réellement de politique, on parle de réajuster les budgets, de mettre de l’argent dans des secteurs oubliés. En France, « on assigne les personnes de culture musulmane à résidence dans cette identité-là et si on les perçoit intégralement comme des ennemis de la civilisation européenne, il y a (…) islamophobie. Elle est fort répandue dans les milieux d’extrême droite mais pas seulement », note Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite. Podemos a réinventé la gauche, mais aussi la politique. Les partis de gauche français feraient bien de s’en inspirer, et vite.
Espagne : le jeune Podemos va-t-il enfoncer le vieux Parti socialiste ? (ici)