Appels aux dons, rassemblements, pétitions: à l’approche de l’audience, mercredi, chaque camp fourbit ses armes. Car, au delà de cet immense bloc de ciment, c’est la place de la religion dans la sphère publique qui est en jeu.
« Joignez la bataille pour une victoire historique de la liberté de religion », lance l’Institut First Liberty qui coordonne les défenseurs du monument, érigé en 1925 à la mémoire de 49 soldats tombés lors de la Première guerre mondiale.
« La bataille pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat est loin d’être gagnée », renchérit, à l’adresse de ses troupes, l’Association humaniste américaine (AHA) à l’origine des recours contre cette croix de 12 mètres de haut.
Son problème ? La « Croix de la Paix » se dresse sur un terrain public, à un carrefour très fréquenté à Bladensburg près de Washington, et son entretien est assuré sur des fonds publics.
Pour le directeur de cette association, Roy Speckhardt, elle « n’honore pas tous les anciens combattants mais seulement les chrétiens » et viole donc la Constitution qui interdit à l’Etat de privilégier une religion à une autre.
« Sacrilège », rétorque Mary Ann LaQuay, dont l’oncle Thomas N. Fenwick, mort en France à l’âge de 22 ans, est honoré sur ce monument.
« Il n’y a aucune chance que des gens se sentent contraints à adopter une religion » à cause de cette croix, estime-t-elle, confiant à l’AFP être « triste et stressée » par ce qu’elle perçoit comme une « attaque » contre les soldats morts au front.
Billets verts
Le premier tribunal saisi de l’affaire avait balayé le recours de l’AHA, mais une cour d’appel a ordonné en décembre 2016 que la croix soit démolie, transformée ou déplacée. « Sa forme agrandit la croix latine de manière à faire penser à tout observateur raisonnable que ceux qui l’ont commandée placent le christianisme au-dessus des autres confessions », ont justifié les magistrats.
La Légion américaine, association d’anciens combattants, et les parcs nationaux du Maryland ont alors introduit un recours devant la Cour suprême, et ont reçu le soutien du gouvernement de Donald Trump.
Le temple du Droit américain a accepté de se saisir du dossier et chaque camp lui présentera ses arguments mercredi. La Cour devra ensuite décider si le monument viole le premier amendement de la Constitution qui interdit toute loi « ayant pour objet l’établissement d’une religion ».
S’il ne fait aucun doute que cette clause interdit à l’Etat de financer une institution religieuse par exemple, sa signification reste nébuleuse sur de nombreux points.
Cela n’a longtemps pas posé de problème en raison de l’importance de la communauté protestante et la religion a de fait pris une place importante dans la sphère publique aux Etats-Unis. La devise « In God we trust » (nous croyons en Dieu) sur les billets verts en atteste.
Chants de Noël
Mais, depuis quelques années, l’affirmation d’autres religions et le nombre croissant d’athées a entraîné une vague de contestation, qui a visé les prières dans les écoles publiques, la mention de Dieu dans les prestations de serment et plusieurs crèches ou monuments.
Régulièrement saisie, la Cour suprême a défini plusieurs critères pour trancher en cas de conflit: est-ce que l’objet du conflit a d’abord « un but laïc » ? est-ce qu’il a pour effet de promouvoir ou de nier une religion ? est-ce que son sens religieux s’est dilué avec le temps ?
« Mais ces critères sont ambigus et les tribunaux peuvent répondre de manière différente à ces questions », souligne Jeffrey Shulman, professeur de Droit à l’université Georgetown.
Certains aimeraient donc que la Cour suprême, où les juges conservateurs sont majoritaires, profite de ce dossier pour affiner sa jurisprudence. Jeffrey Shulman n’y croit pas. « Je pense que cela va rester un domaine confus et obscur du droit », prédit-il.
Pour lui, le conflit autour de la Croix de Bladensburg n’est « que la dernière bataille en date d’un conflit long et continuel sur la définition de la liberté religieuse en Amérique. »