jeudi 31 octobre 2024
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Nos luttes communes : ce qui peut nous arriver de pire

Que ce soit dans la lutte contre l’islamophobie, les violations des libertés publiques, le virage répressif, les inégalités et plus généralement dans nos luttes communes pour la justice sociale, ma réflexion est que nous avons besoin de faire évoluer nos modèles de fonctionnement. Il y a quelques temps je m’étais exprimé sur l’état de notre monde associatif et dénonçais de manière objective je pense, les manquements que nous connaissons tous, ne nous voilons pas la face. Je dénonçais notamment les tendances hégémoniques de bien des associations, l’égocentrisme de bien des militantes et militants, le manque de transparence, les rivalités entre chapelles, au point de voir les comportements qu’on dénonce chez les élites, se reproduire dans nos associations censées les défier. Qui de la volonté de détruire d’autres associations, qui du boycott d’associations ou de militants qu’on ne voit pas comme alliés naturels mais comme rivaux, qui du refus de mettre en avant d’autres initiatives qui justement nous sont complémentaires, qui de l’ambition personnelle démesurée au point qu’une personne met la cause défendue à son service au lieu d’être elle même ou lui même au service de cette cause. L’engagement politique, on le sait tous, repose sur la pluralité, la coordination et la solidarité ;  et une des raisons pour lesquelles nous avons tant de mal à avancer, c’est parce que chacun, à différentes échelles, veut le monopole absolu « Moi je, moi je », en oubliant de fait que ce ne sont pas les associations et encore moins les individus qui remportent des batailles mais les coalitions. Ce que fait l’oppresseur pour décrédibiliser une cause, c’est de dire : « Vous voyez, ils ne sont que quelques uns à la défendre, c’est donc une cause marginale. »

Un épisode m’est resté en travers de la gorge, c’est celui d’un militant poursuivi en justice par la mairie de sa ville et qui n’a trouvé que peu de soutiens pour l’aider à payer ses frais d’avocat. J’avais moi même partagé la collecte en ligne sur Facebook et personne ne l’avait partagée. Un ami avait même osé me dire : « Oui mais tu sais, Yasser, il n’est pas facile. » Mais je vais continuer dans ma réflexion. Quand on s’engage à défendre la veuve et l’orphelin, pourquoi ne pas faire en sorte que la veuve et l’orphelin apprennent à se défendre par eux-mêmes ? Ce n’est pas ça, l’autonomie ? Je m’en réfère à Malek Bennabi qui pose comme conditions de tout renouveau ou de « renaissance » la libre circulation des idées. Or, soyons honnêtes, comment pouvons-nous avoir des espaces sécurisés pour la circulation des idées, du partage d’expérience et de l’évolution intellectuelle ? Pouvons nous vraiment avancer lorsque chacun pense et agit seul de son côté ? Comment faire émerger de nouvelles têtes, de nouveaux talents, sans jamais effectuer un transfert de compétence, de savoir-faire, de retours d’expérience ?

« On ne peut dénoncer une injustice en en commettant une autre »

Pire encore, alors qu’on fait face à un besoin endémique de formation, voilà que certains proposent des formations payantes aux personnes qui supportent déjà le poids du racisme et de la domination. C’est comme si les mouvements de résistance s’étaient mis ou se mettent à offrir des formations payantes au peuple pour qu’il sont censé libérer du joug de la domination. On est donc bien dans l’entreprenariat sur le dos des populations dominées en plus de fonctionnements structurellement défaillants. Ce que je dis n’est pas agréable à entendre et je l’assume. Je renvoie les lecteurs sceptiques vers les manuels de management sur l’effet de groupe pour comprendre de quoi je parle. Le consensus au sein d’une équipe n’est jamais une bonne nouvelle. Et justement, à cause de cet effet de groupe, l’allégeance ne se fait plus envers les idéaux mais envers ce même groupe qu’on ne veut pas se mettre à dos. Et donc, par le chantage affectif ou le chantage à discorde, du genre : « Si tu parles ça va desservir la cause. » Alors qu’au même moment on ne met pas en place des lieux sûrs pour apporter la contradiction et s’exprimer sans craindre les répercussion, on finit par tomber dans des logiques sectaires. Refuser la contradiction est un aveu de faiblesse et nos luttes ont besoin de gens forts.

Ceux qui finissent par se démobiliser et cessent de militer, ne sont pas tous des traitres à la cause et des faibles qu’il faut jeter en pâture mais illustrent bien un dysfonctionnement majeur qu’il faut traiter. Ce qui peut nous arriver de pire, c’est de faire émerger une oligarchie associative, élitiste et mue par l’entre soi, soucieuse de son statut social et qui voit la cause défendue comme un plan de carrière individuel. Il n’y rien à gagner quand on est militant, il n’y a que des coups à prendre. Qu’est ce qu’on fait alors lorsque des militants ou militantes s’engagent pour faire des gains ? 2017 va être une année violente et nous avons besoin plus que jamais de sincérité pour durer. On ne peut dénoncer une injustice en en commettant une autre. Et je terminerai pour ma part que, si nous voulons arriver à remporter des batailles, nous sommes censés être meilleurs que nos adversaires, et non pas leurs semblables.

Retrouvez cette chronique en vidéo ci-dessous :

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