Dimanche dernier, au moins six personnes ont été tuées et 49 autres blessées en République démocratique du Congo, lors de la « marche des chrétiens », organisée pour exiger le départ de Joseph Kabila et pour demander l’application de « l’accord de la Saint Sylvestre ».
« Qu’il parte ! On n’en peut plus »
Une marche qui fait suite à celle du 31 décembre dernier, violemment réprimée par les forces de l’ordre, à coup de gaz lacrymogènes dans les églises.
Cette fois-ci, les forces de sécurité ont également tiré à balles réelles pour disperser la foule. 69 personnes ont également été arrêtées selon la Mission des Nations unies au Congo (Monusco).
Et alors que l’Eglise catholique du pays a multiplié les actions ces dernières semaines contre l’homme fort de Kinshasa, le 19 janvier, des responsables musulmans ont également exprimé leur soutien à des marches pacifiques et demandent à Joseph Kabila de respecter ses engagements. Retour sur cette crise.
Pourquoi les Congolais manifestent-ils ?
Les Congolais et les membres de l’opposition demandent le départ de Joseph Kabila arrivé au pouvoir par succession monarchique en 2001, suite à l’assassinat de son père, et maintenu à la tête du pays malgré deux scrutins électoraux contestés en 2006 et 2011. Son mandat aurait dû s’achever fin 2016, mais il refuse depuis de céder sa place, repoussant toujours l’élection présidentielle. Déjà en décembre 2016, les Congolais avaient organisé des manifestations pacifiques, qui avaient fait une vingtaine de morts. Mais plus d’un an après, Joseph Kabila est toujours au pouvoir. Dimanche, les manifestants ont exprimé leur colère : « Qu’il parte ! Il ne fait que tuer les gens, on n’en peut plus ». « Kabila doit partir, nous n’allons plus lui laisser du temps », ont crié les manifestants.
Une colère qui gronde de plus en plus, alors que l’accord de « la Saint Sylvestre », signé le 31 décembre 2016 n’a pas été respecté. Ce texte prévoyait que Kabila reste un an mais que l’opposition lui propose trois candidatures de Premier ministre. Il a au final choisi lui-même son Premier ministre dans les rangs de l’opposition, sans leur approbation. L’accord prévoyait également des élections au plus tard fin 2017. Mais la tenue du scrutin a été reportée au 23 décembre 2018, une échéance contestée par l’opposition et la société civile congolaise.
Pourquoi Joseph Kabila s’accroche-t-il au pouvoir ?
Joseph Kabila s’accrocherait à son poste de président principalement pour ses propres ses intérêts financiers. « Lui et sa famille ont amassé une énorme somme d’argent, on parle de centaines de millions de dollars », expliquait Ida Sawyer de l’organisation Human Rights Watch.
En effet, si la RDC reste l’un des états les moins développés, faisant face à une grande pauvreté, c’est aussi l’un des plus corrompus au monde. Hommes d’affaires étrangers et hommes politiques se partagent les dividendes des immenses richesses naturelles (mines, bois, diamants..). L’agence de presse américaine Bloomberg, le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC) et l’ONG Global Witness ont révélé il y a quelques mois dans un rapport la fortune colossale et tentaculaire de la famille Kabila, présente dans tous les secteurs de l’économie congolaise.
Quel est le rôle de l’Eglise dans ces manifestations ?
Les deux dernières marches pacifiques et non violentes sont à l’origine du Comité laïque de coordination, proche de l’Église catholique : « Ce dimanche 21 janvier 2018, main dans la main, comme d’habitude, allons marcher pacifiquement avec nos rameaux de paix, nos bibles, nos chapelets, nos crucifix pour sauver le Congo ».
Les catholiques du pays sont également à l’origine de messes anti-Kabila, sévèrement réprimées par les forces de polices congolaises. Ils demandent au président de dire publiquement qu’il ne briguera pas un nouveau mandat, conformément à la Constitution. Le cardinal de Kinshasa, Laurent Monsengwo, très respecté dans le pays, a particulièrement été critique envers le régime Kabila. Il avait appelé le 3 janvier aux départs des « médiocres », visant le président et ses proches et a condamné « le règne de la loi de la force » en RDC.
L’Eglise catholique joue donc un rôle important dans cette crise et elle a toujours eu une influence sur la vie politique et sociale en RDC, au sein d’une population majoritairement catholique et très pratiquante. L’Eglise catholique est une institution structurée au Congo, et elle est très active sur les questions d’éducation et de santé auprès de la population. Elle s’est aussi souvent posé comme intermédiaire lors des périodes de transition politique.
Kabila a-t-il utilisé Israël pour obtenir le soutien de Trump ?
En mai dernier, Jeune Afrique révélait que Kinshasa avait fait appel à une société basée en Israël pour représenter la RDC à Washington de décembre 2016 à décembre 2017. Des contrats de lobbying d’un montant de 5,5 millions de dollars ont été mis à jour avec MER Security and Communication Systems, une société israélienne spécialisée dans la sécurité et les nouvelles technologies. MER devait ainsi préparer la venue à Washington de « l’envoyé spécial de la RDC » aux Etats-Unis, Raymond Tshibanda, l’ex-ministre des Affaires étrangères. MER devait aussi organiser des réunions avec des responsables du gouvernement américain.
L’homme d’affaire israélien Dan Gertler avait offert 20 millions de dollars contre un quasi monopole sur le diamant… et lui éviter une rébellion
Barack Obama et Hillary Clinton ont toujours poussé Kabila vers la sortie à la fin de son second mandat, en gelant les avoirs aux Etats-Unis de certains hommes hauts placés, notamment des chefs de la police. Les cadres du régime congolais ont donc vu d’un bon oeil l’arrivée de Trump au pouvoir. « Il s’agissait pour le président Joseph Kabila d’anticiper les actions, pour que la nouvelle administration américaine ne poursuive pas la politique des sanctions contre son entourage », confiait un membre du corps diplomatique congolais à Jeune Afrique. Cela a t-il suffit à réellement faire basculer les Etats-Unis sur la crise en RDC ?
Toujours est-il que les relations entre Israël et la RDC sont bien établies et que Kinshasa a un allié de poids. En RDC, l’homme d’affaires israélien Dan Gertler est un proche du président Joseph Kabila. Cuivre, pétrole, industries du diamant, agro-alimentaire… le milliardaire domine la vie économique du Congo et il joue un rôle fondamental dans le contrôle de la famille Kabila sur la RDC depuis vingt ans, comme le révèle le site Al Arabiya. Dan Gertler a une fortune estimée à 1,26 milliard de dollars par le magazine Forbes en 2015.
Il est arrivé en RDC en 1997, soutenant le père défunt de Joseph Kabila, Laurent Kabila, alors président. Les deux hommes avaient à l’époque signé un accord. Dan Gertler offrait à Laurent Kabila 20 millions de dollars pour éviter une rébellion dans l’est du pays. En échange, il obtenait un quasi-monopole sur les gisements de diamants de la même région. Une amitié qui a perduré avec le fils, selon les dernières informations de Politico. L’homme d’affaire israélien serait devenu l’émissaire spécial de Kabila, avec pour mission de lui négocier le soutien des Etats-Unis. Ainsi, consolider le pouvoir de Kabila et assurer son maintien à la tête du pays est donc nécessaire pour la prospérité des affaires.
Quelles sont les positions de la France et de la Belgique ?
Sur les réseaux sociaux, le hashtag #BoycottFrance circule sur des comptes de militants congolais opposés au maintien au pouvoir du président Joseph Kabila. Plusieurs caricatures évoquent « les sponsors de la barbarie en RDC » dont le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, et son homologue espagnol, Mariano Rajoy, suite à la répression de la marche du 31 décembre. « Le communiqué du Quai d’Orsay était très mou. Puis on a appris que la France et l’Espagne bloquaient le communiqué de l’Union européenne condamnant la répression. La polémique a décollé », explique le dessinateur congolais Kash, auteur de ces caricatures, au journal Le Monde. Une accusation portée sur « deux pays ayant des intérêts industriels au Congo » selon les militants congolais.
Au sein du Quai d’Orsay, les diplomates avancent une opération de « fake news » et parlent d’une « campagne de nuisance politique intentionnelle » visant la France qui avait réitéré dans un communiqué son « appel au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment le droit d’expression, d’information et de manifestation pacifique » au Congo. Quant à la Belgique, autre ancien pays colonisateur du Congo, elle a décidé de faire pression sur Kabila, en privant le pays d’une aide financière de 25 millions d’euros le 11 janvier dernier.