Tariq Ramadan a quelque chose de l’intellectuel total, selon la qualification que Pierre Bourdieu avait appliqué à Jean-Paul Sartre. Investi sur tous les fronts de la pensée et de la controverse politique, Tariq Ramadan a redonné à des millions de musulmans d’Europe une forme de dignité intellectuelle et sociale. Par son érudition, sa pédagogie, mais également par son brio rhétorique. Tariq Ramadan est un fils d’immigré, un Arabe, un musulman, mais — chose extraordinaire — il n’était pas un dominé dans l’espace public et la sphère médiatique. C’est en cela qu’il nous a rendu fiers. Par sa capacité à être un intellectuel dominant, ici, en Europe, c’est à dire chez nous.
Nous savons peu de choses des affaires qui font de lui aujourd’hui un prisonnier. Nous relevons juste que celles-ci semblent bien fragiles. Le parfait tableau du psychopathe, si réjouissant pour tant de nos ennemis, paraît bien rapidement et profondément s’écailler.
Quand lumière aura été faite, il restera l’homme, Tariq. Un homme humilié et offensé, dont la vie intime a été jetée en pâture, à tous. Antonin Artaud disait, avec la radicale clairvoyance anthropologique qui était la sienne : « Là où ça sent la merde, ça sent l’être. » Il n’y a de perfection qu’en Dieu et nous ne sommes que des créatures. Parfaites dans nos essences et si imparfaites dans nos vies terrestres. Nous sommes faibles, emplies de contradictions, bricoleurs de nos vies. Tous. Tariq Ramadan y compris. Mais, la vie intime d’un homme ne regarde que lui et son Dieu.
Dans l’attente de l’issue judiciaire de ces sordides affaires, nous offrons à Tariq Ramadan nos prières et notre amicale compassion. Au prisonnier du jour et à l’homme qui sera libre demain.