Le premier candidat à briguer la présidence sous l’étiquette d’Ennahdha, Abdelfattah Mourou, président par intérim du Parlement et partisan d’une ouverture du mouvement, est arrivé seulement troisième avec 12,88% des voix (soit 434.000 voix).
Ce résultat constitue un revers pour la principale force au sein du Parlement sortant: présentée comme la plus solide jusqu’à ces derniers mois, sa base électorale s’érode encore.
De 1,5 million lors du premier scrutin libre en Tunisie, qui marqua son retour sur la scène politique en 2011, elle était passée à 520.000 voix aux municipales de 2018 –certes marquée par une très forte abstention.
Dimanche dernier, lors du premier tour de la présidentielle, tous les candidats qui étaient au pouvoir ou associés à celui-ci ces dernières années, comme le Premier ministre Youssef Chahed, ont été balayés.
Ennahdha, pourtant, s’était efforcé ces dernières années de rester relativement en retrait, et avait surtout engagé une mue idéologique pour tenter de se débarrasser de son étiquette de mouvement « islamiste.
Désormais, il joue très gros dans la perspective des législatives.
Dans une tentative de reconquête de sa base, le parti a exprimé vendredi son soutien, pour le second tour de la présidentielle, à Kaïs Saied: un homme considéré comme conservateur sur les questions sociétales et qui a capté une partie du vote Ennahdha, surtout parmi les jeunes.
La formation du cheikh Rached Ghannouchi « ne pouvait pas soutenir » l’autre candidat, le magnat controversé des médias Nabil Karoui, « car elle est déjà accusée par sa base d’avoir traité avec le système au détriment de ses principes », souligne le politologue Slaheddine Jourchi.
En 2014, battu par Nidaa Tounes –auquel appartenait M. Karoui–, Ennahdha a conclu une alliance contre-nature avec ce parti qui avait fait campagne sur un programme anti-islamiste.
Certes, ce choix d’Ennahdha de participer à un gouvernement de coalition a permis d’apaiser le paysage politique dans le pays pionnier des Printemps arabes, mais il s’est fait au prix de concessions qui n’ont pas fait l’unanimité chez ses partisans.
Le recul d’Ennahdha s’explique par les « conflits au sein du mouvement » entre les choix des dirigeants et la « base », dit le politologue Hamza Meddeb.
Crise d’identité
En participant à une coalition qui a mené une politique libérale n’ayant fait ni reculer le chômage ni baisser les prix, Ennahdha « a perdu sa capacité à se présenter comme moteur de réformes » et d’améliorations sociales, note-t-il dans un rapport du centre Carnegie.
Depuis que le parti a officiellement quitté en 2016 la prédication religieuse pour devenir un mouvement civil, « il y a une crise d’identité » en son sein, explique M. Meddeb.
A défaut de se démarquer via l’idéologie, il doit désormais regagner une légitimité en tant que « formation efficace » pour répondre aux défis économiques et sociaux du pays.
Signe des tiraillements, Ennahdha, le plus structuré des partis tunisiens, et au sein duquel les divergences font rarement surface, a connu ces derniers mois plusieurs démissions et des contestations publiques dans le choix de ses candidats.
Ainsi, Lotfi Zitoun, conseiller de Rached Ghannouchi, a annoncé en juillet sa mise en retrait, une décision motivée selon des médias locaux par un conflit sur les choix stratégiques du mouvement.
Zoubeir Chehoudi, ex directeur du cabinet de M. Ghannouchi, a lui aussi démissionné, appelant au départ de l’ancienne garde et déplorant qu' »Ennahdha, désormais un parti (…) intégré au système et aux mécanismes de l’Etat, est devenu incapable de proposer des solutions sociales et économiques ».
Conscient que 15% à 20% des jeunes pro-Ennahdha n’ont pas voté pour M. Mourou, Rached Ghannouchi, lui-même candidat à Tunis dans une circonscription très disputée, a appelé à la mobilisation pour le 6 octobre.
Ennahdha espère préserver ses 69 sièges sur 217 au Parlement. Un défi, d’autant que le calendrier électoral est peu favorable: la présidentielle, avancée en raison du décès du président Béji Caïd Essebsi, a fait passer à l’arrière-plan les législatives, pour lesquelles le parti est mieux armé.
Trois semaines après le premier tour de la présidentielle, ces législatives pourraient être marquées par la même dynamique de vote sanction.
« Peut-être qu’Ennahdha va perdre beaucoup, peut-être même que le parti perdra sa position au sein du pouvoir », avance M. Jourchi.