« La capacité des joueurs à oeuvrer dans le sens de l’unité, au sein et autour du groupe, l’exemplarité et la préservation du groupe sont également prises en compte par l’ensemble des sélectionneurs de la Fédération. » Voilà la raison officielle de la Fédération de football qui a permis à Noël Le Graët, président de la Fédération française de football (FFF) et à Didier Deschamps, le sélectionneur des Bleus, de refuser à Karim Benzema le droit de disputer l’Euro 2016.
Dans son communiqué, la FFF explique : « Les éléments actuellement disponibles dans ce dossier ne permettent pas d’établir clairement l’implication des différents acteurs », ajoutant que, « à la lumière de ces éléments, et de la levée partielle du contrôle judiciaire de M. Benzema, qui rend à nouveau possible sa convocation en équipe de France, il n’existe aucun obstacle, sur le plan juridique, au fait qu’il soit sélectionné. » La décision n’a donc rien à voir avec l’enquête concernant l’affaire Valbuena. Ni avec les performances de l’attaquant. « La performance sportive est un critère important mais pas exclusif pour décider de la sélection au sein de l’Equipe de France de football », indique le communiqué.
« Son problème est de s’appeler Karim »
Pourtant, en ce qui concerne les démêlés judiciaires de Benzema, dans une interview à L’Equipe, Noël Le Graët explique que l’enquête de Libération du 17 mars, où le nom de Karim Benzema apparaissait dans une affaire de « blanchiment en bande organisée » et « blanchiment de trafic de stupéfiants » comme simple témoin « a compté dans notre réflexion. » « Mais ce qui a surtout été décisif, c’est le comportement du groupe pendant le rassemblement de mars. On a senti une grande harmonie. Sur le terrain, les joueurs se sont tellement bien comportés qu’on a estimé qu’il ne fallait pas prendre le risque de compromettre cet élan », poursuit le président de la Fédération qui estime donc indument que le groupe de mars doit être celui qui disputera l’Euro.
Depuis l’annonce de la non-sélection de Benzema pour l’Euro, plusieurs personnalités ont donné leur avis. Certains sont en faveur de la décision de la FFF, comme Jean-Michel Larqué. L’ancien joueur de Saint-Etienne affirme : « Je ne sais pas ce que j’aurais fait à la place de Noël Le Graët car je ne connais pas le dossier dans le détail comme lui, mais je trouve cette décision juste. » Le consultant ne connaît donc pas le dossier mais trouve la décision « juste. » De son côté, Guy Roux affirme qu’« il faut avoir le courage de le dire. S’il s’appelait Jean-Claude et était né à Brest, on ne parlerait pas autant de cette affaire. Mais son problème est de s’appeler Karim. C’est déplorable, mais c’est ainsi. Aux yeux de certains, il paie ses origines. Il faudra un siècle avant que ce genre de préjugés disparaisse. »
« C’est l’opinion qui a eu raison de Benzema »
On ne peut qu’abonder dans le sens de Guy Roux : si aucune charge incombant à l’affaire judiciaire en cours n’est retenue contre l’attaquant du Real Madrid et que, sportivement, Benzema est performant avec son club, qu’est-ce qui lui a valu ce « traitement de faveur » ? La non-sélection de Karim Benzema est-elle politique ? Manuel Valls indiquait récemment que « les conditions ne sont pas réunies pour que Karim Benzema revienne en équipe de France. » Mais le Premier ministre n’est pas sélectionneur des Bleus. Pas encore en tout cas. « En réalité, c’est l’opinion, et elle seule, qui a eu raison de Benzema. Pas Manuel Valls », résume Bruno Roger-Petit dans un article pour Challenges.
Des sondages indiquaient récemment que 8 Français sur 10 ne voulaient pas de Benzema en équipe de France. « Il est difficile, voire impossible de savoir s’il entre dans la posture des uns et des autres une part de rejet qui relèverait d’une certaine forme de racisme rampant ou décomplexé », écrit Bruno Roger-Petit. Pourtant, il n’est pas difficile de voir les procès d’intention qui sont faits à l’ex-attaquant des Bleus : le joueur ne chante pas « La Marseillaise », c’est une faute grave là où ça l’était moins pour Michel Platini. Benzema n’est pas encore jugé mais il est déjà coupable, là où un Karabatic, jugé coupable lui dans une affaire d’escroquerie et de match truqué, n’est pas inquiété quant à sa place de titulaire en équipe de France de handball.
En gros je marque donc je suis… français
La France n’est pas raciste, au sens littéral du terme : Platini et Karabatic sont deux joueurs dont les parents ou grands-parents sont issus de l’immigration. Mais Benzema, lui, est un « beur. » Ce qui lui confère de fait un statut de « racaille », comme Nicolas Sarkozy aimait le dire. « Je préfère perdre l’Euro 2016 avec une équipe où l’état d’esprit est irréprochable que de le gagner avec des pseudo-racailles », écrit d’ailleurs Axel Joly, conseiller national des… Républicains sur Twitter. A droite toute, on rappelle que Benzema a affirmé : « L’Algérie c’est mon pays , la France c’est juste pour le côté sportif et personne ne me forcera a chanter La Marseillaise. » Sauf que le joueur n’a jamais dit cela.
« En gros, si je marque, je suis Français, mais si je ne marque pas ou qu’il y a des problèmes, je suis Arabe », résumait parfaitement Benzema dans une interview à So Foot. Et il a raison : Zidane marque deux buts en finale de Coupe du Monde, on prône la France black-blanc-beur. Benzema, lui, restera un Algérien, qui n’a jamais offert une Coupe aux Bleus. Jérôme Béglé, dans Le Point, écrivait : « L’avant-centre du Real affirme qu’il ne chantera jamais La Marseillaise ! Provocation, bêtise et vulgarité. Et s’il pensait plutôt à marquer qu’à l’ouvrir ? » Le journaliste le traite alors d’« enfoiré » et d’« ingrat », ajoutant : « C’est dans la capitale des Gaules que le jeune malappris a été éduqué au football — seulement au football visiblement. Il devrait être animé par un devoir de reconnaissance, voire de respect, à l’égard d’un club, d’une ville, d’un pays, qui, un jour, ont cru en lui. »
Aujourd’hui, en jugeant Benzema coupable d’on ne sait quoi, la France n’a ni reconnu le talent du footballeur, ni respecté l’homme. Didier Deschamps pouvait très bien composer une liste de sélectionnés sans Benzema, comme l’avait fait Aimé Jacquet en 1998 avec Cantona. Il n’aurait alors pas eu à justifier son choix. Cela aurait évité à l’attaquant du Real Madrid un procès d’intention inutile.