vendredi 22 novembre 2024
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Terrorisme : pourquoi la France perdra une guerre qui ne l’est pas

 Gouvernement et « opposition » ne cessent de parler de radicalisation sans jamais définir le terme. En plus de la fallacieuse idée de guerre contre le terrorisme, nous assistons à une surenchère des discours islamophobes sous couvert de lutte contre ce dernier. Or, si près de 80 % des études sur la radicalisation ne sont pas fiables, la certitude évoquée par les politiques devrait nous inquiéter.

La semaine dernière, le Premier Ministre Manuel Valls, secondé par le Ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve lançait son idée de « réforme » du culte musulman. Le timing d’une telle proposition n’était pas le fruit du hasard et permettait une nouvelle islamodiversion pour éviter les questions de fond sur l’échec de la stratégie de ce gouvernement — tout comme les précédents — en matière de lutte antiterroriste. Cette semaine, le gouvernement annonce la fermeture administrative de vingt lieux de culte dits « radicaux » ou « salafistes » sans nous dire sur quelle base ces accusations sont fondées

Depuis plus de trente ans, le terrorisme a su évoluer avec nos sociétés et mettre à son profit les avancées technologiques. A l’heure des réseaux sociaux, la « meilleure » offre sur le marché de la terreur est celle proposée par le groupe terroriste Daesh. Avec cette évolution du terrorisme, la France elle, est restée figée à l’âge de pierre avec une stratégie ne reposant que sur des mesures répressives sans véritables moyens de prévention. Les accusations à outrance alimentent le débat sans jamais nommer le mal qui rend l’idéologie terroriste si séduisante pour nos jeunes ni même formuler un début de compréhension du phénomène.

Depuis les années 80 donc ce sont près de trente lois antiterroristes qui ont été adoptées. Les moyens de surveillance ont été renforcés au point de légaliser la surveillance de masse et l’intrusion agressive dans la vie privée des citoyens. Les pouvoirs du parquet ont été considérablement augmentés au détriment de la défense. L’exécutif s’est accaparé encore plus de pouvoirs au point que le pouvoir législatif n’est plus qu’une assemblée se réunissant pour remplir des formalités et valider les décisions de ce premier.

Sur le plan international, nos guerres n’ont cessé de prendre de l’ampleur. Nous bombardons civils et innocents en Syrie et en Iraq, soutenons le chaos en Lybie et prenons partie dans le conflit en Afrique Centrale au détriment de la minorité musulmane sur place.  Au sahel, une guerre secrète fait rage avec la France comme protagoniste majeur, le tout sous couvert de lutte contre Daesh. Nous continuons de poursuivre le mirage d’une victoire contre le terrorisme à coup de bombes comme si une idéologie pouvait être défaite ainsi. Comme l’affirmait Zbigniew Brzenski il y a plus de dix ans déjà, la « guerre contre le terrorisme » que nous martèle Manuel Valls, est une idée fallacieuse et une prophétie auto-réalisatrice.

Quant à la soi-disante lutte contre la radicalisation à domicile, elle n’est qu’une supercherie de plus. Ainsi, Ben Emerson, rapporteur spécial de l’ONU sur la lutte antiterroriste et les droits de l’homme, déclare sans détour dans son rapport du 22 Février 2016, qu’en matière de lutte contre la « radicalisation », « Les États ont eu tendance à se concentrer sur les (approches) qui sont les plus attrayantes pour eux, évitant ainsi des questions plus complexes, y compris les questions politiques telles que la politique étrangère et les conflits transnationaux. » Il accuse par ailleurs les programmes lancés par les gouvernements occidentaux dont la France d’être « basés sur une compréhension simpliste du processus  d’adhésion à l’extrémisme violent tel une trajectoire fixe avec des marqueurs identifiables tout au long du parcours. »

De leur côté Alex P. Schmid, ancien responsable de la Direction de la prévention du terrorisme de l’ONU et Albert Jongman de la PIOOM Fondation de l’Université de Leiden ont déclaré  que « peut-être jusqu’à 80 pour cent de la littérature n’est pas rigoureuse ou fondée sur de la recherche. » Et ce, après avoir examiné plus de 6.000 études universitaires sur le terrorisme publiées entre 1968 et 1988.

En 2009, Andrew Silke, professeur à l’Université d’East London et conseiller à l’ONU sur les questions d’antiterrorisme, déclarait que ce champs d’études manquait cruellement de données pouvant « expliquer le terrorisme ou fournir des résultats de valeur prédictive réelle. »

Qu’est ce qui a changé depuis ? Pas grand chose. Pour la France seulement, le mot magique c’est « radicalisation. » Sans jamais avoir été clairement défini, le terme est devenu l’alpha et l’oméga de la lutte contre le terrorisme. A bien des égards, la « lutte contre la radicalisation » représente une manne financière pour nombre d’associations et d’experts se bousculant pour ouvrir des « centres de déradicalisation » ou publier des rapports sans aucune autorité intellectuelle mais qui profiteront des millions d’euros en subventions publiques et donneront des gages « intellectuels » aux arguments les plus fallacieux en usage.

Tout cela permet au gouvernement de se lancer dans une surenchère sécuritaire sur le dos des citoyens de confession musulmane en entretenant l’idée d’un lien entre Islam et terrorisme, pratique de la religion musulmane et radicalisation et dans la même lignée, que les mosquées sont le lieu par excellence où cela se déroule.

C’est ainsi que, à l’image de ce qui avait été fait l’hiver dernier après les attentats de Novembre, plusieurs mosquées accusées d’entretenir des prêches radicaux vont être fermées. Pourtant, toutes les mosquées de France sont déjà sous étroite surveillance et aucun des terroristes ne fréquentait les mosquées. Ces mesures de fermeture de mosquées ont des effets dévastateurs. Le message envoyé est violent. Pour les citoyens français de confession musulmane, le symbole que représente la fermeture d’une mosquée est puissant et incompréhensible puisque tout démontre que la radicalisation se fait ailleurs”. Pour les citoyens non musulmans, c’est leur dire : « Oui c’est bien les mosquées le problème et donc potentiellement tous les musulmans pratiquants…» On est plus que jamais dans l’alimentation de l’islamophobie, sans parler de l’inefficacité des mesures qui jusqu’à présent n’ont prévenu aucun attentat.  Ces punitions collectives font par ailleurs le jeu des groupes tels que Daesh dont la propagande repose sur les accusations de stigmatisation des musulmans, de leur humiliation et de violer leurs libertés religieuses.

Nous avons tort de croire que le groupe terroriste est composé de fous furieux amoureux de la gâchette et de la dynamite. Leur communication est rodée, efficace et leur bataillons présents sur les réseaux sociaux devraient pousser le gouvernement à plus de lucidité pour ne pas alimenter cette propagande en tenant les fidèles pour responsables.

Ce n’est pas dans les mosquées que la « radicalisation » se fait mais bien en prison, dans des assemblées clandestines et sur internet, particulièrement sur les réseaux sociaux. Mais le fait de cibler les mosquées montre qu’on a besoin de symboles et qu’il ne faut surtout pas de symboles qui tombent sous l’autorité directe de l’Etat. Ce symbole, ce sont ces musulmans et leurs lieux de cultes et c’est bien plus attrayant d’agir ainsi que d’admettre que le gouvernement, pressé à sa droite par les discours identitaires et nationalistes et à sa gauche par les laïcards les plus islamophobes, est dépourvu et préfère donner le sentiment d’être ferme à défaut de bien faire et d’être efficace.

Pourtant, et au vu des profils des personnes impliquées, personne n’a posé la question du manque de moyens des institutions en charge de la santé mentale des patients et que l’internement est de moins en moins préconisé pour des raisons budgétaires. Les psychopathes sont donc laissés en liberté et si par malheur l’un d’entre eux s’appelle Mohammed et commet un meurtre, on ne dira pas qu’il est fou mais qu’il est musulman, qu’il s’est autoradicalisé ou qu’il a entrepris une chronoradicalisation et on tiendra encore une fois les musulmans pour responsables.

Soyons factuel. Quel est celui de ces terroristes qui fréquentait une mosquée ?

Ainsi, Adel Kermiche, auteur de l’assassinat du père Jacques Hemmel était « visiblement très instable psychologiquement », selon les personnes interrogées pendant l’enquête. L’assaillant de Nice lui, Mohamed Lahouaiej Bouhlel était dépressif et décrit comme mentalement instable par son propre père. De son côté, le renseignement intérieur britannique MI5 concluait que  « l’influence de prédicateurs radicaux était surévaluée » et qu’après avoir étudié 300 profils, la plupart sont de « parfaits ignorants sans aucune ou presque aucune formation religieuse. » Le MI5 avance même que — accrochons nous — « une identité religieuse forte protège contre la radicalisation violente. »

Daesh a une nouvelle fois innové en mettant sur le marché mondial sa propre franchise pour les psychopathes en attente de commettre leur acte de gloire. Avant, on les disait fous, aujourd’hui on dira qu’ils sont des soldats en mission.

Mais ce qui a bon dos, et les médias français en portent une large responsabilité, c’est que la source du problème, ce sont les lieux de culte, l’Islam etc…Exprimée de manière implicite ou explicite, cette idée, déjà contredite par les faits, dessert la lutte contre le terrorisme et s’avère être bien utile à Daesh qui veut à tout prix détruire « la zone grise ».

Personne ne s’est inquiété des propos du patron de la DGSI Patrick Calvar lorsqu’il déclarait que la France était au bord d’une guerre civile à cause de l’ultra droite qui pourrait s’en prendre aux musulmans après le prochain attentat. Cette frange n’a pas été traitée de « radicale » et ses lieux de “radicalisation identitaire, nationaliste ou tout simplement raciste” n’ont jamais été fermés ni inquiétés. Nous avons même eu droit à un islamophobe notoire, lourdement armé qui a été perquisitionné pendant le pic des descentes de police sous l’état d’urgence mais qui a été tout bonnement relâché. En Corse, l’encerclement du quartier des jardins de l’empereur avec des hommes en arme et cherchant vengeance contre les habitants de confession musulmane ou l’incendie d’une mosquée, n’ont pas pas permis d’utiliser le terme de « radicalisation » malgré la violence des propos et le passage à l’acte. Lorsque la crème de la droite identitaire se réunit à Béziers pour évoquer la possibilité d’une guerre civile en France et de mentionner l’utilisation d’armes contre les citoyens de confession musulmane ne vaut pas non plus d’être accusé de radicalisation.

Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que viennent s’ajouter tous les dommages collatéraux : “ Panneaux d’interdiction aux femmes voilées, interdiction de journée privatisée pour femmes en burkini, interdiction de cette même tenue de bain à Cannes avec sa validation par la justice, stigmatisation des musulmans, proposition de déporter une musulmane par un député Les Républicains, « réforme de l’Islam » sans demander leur avis aux musulmans mais en mettant à la tête de la future fondation un politique bien entendu non musulman et ayant un passif avec cette communauté, les familles musulmanes de victime à Nice insultées, un homme de 70 ans agressé,… et toujours aucune condamnation politique ou un sursaut républicain pour dire « stop ça suffit. »

Mais soyons cynique et allons dans le sens du gouvernement. Imaginons un monde où il faudrait fermer ces mosquées et salles de prières. Une telle démarche illustrerait la parfaite incompétence des décideurs et leur manque de lucidité. S’il y a des salles de prières radicales et qu’elles sont fermées, cela n’empêcherait pas les radicaux d’être radicaux mais les poussera vers la clandestinité et donc à disparaitre des radars et à devenir encore moins prévisibles. La Tunisie l’a fait et se retrouve aujourd’hui être le premier exportateur de combattants terroristes.

On peut s’habituer aux excès de langage du premier ministre mais pas au danger que sa posture représente. Son concept de guerre contre le terrorisme est un concept fallacieux et sa promesse de la remporter, un mensonge pour lequel il ne rendra jamais de comptes mais pour lequel nous continuerons de payer bien après son départ de Matignon.

Si le gouvernement tenait vraiment à combattre Daesh, il s’attellerai à déconstruire son infrastructure financière reposant sur un budget annuel de  plus d’un milliard de dollars, démonter son discours apocalyptique d’une confrontation entre occident et Islam, cesserait de faire payer aux musulmans le prix des attentats, lancerait une offensive majeure sur les réseaux sociaux, travaillerait de concert avec les organisations de terrain, impliquerait les responsables religieux — au lieu de les diaboliser — pour mieux comprendre l’argumentaire de recrutement, cesserait de prendre parti dans des guerres qui ne nous concernent pas, cesserait tout soutien aux dictatures qui répriment leurs peuples et nous font endosser le rôle de sponsors de leurs malheurs.

Mais notre système politique est ainsi fait. Le court terme prime sur le long terme et le mensonge fait partie intégrante de la communication politique. Manuel Valls comme d’autres avant lui continuera de traiter des conséquences au lieu des causes. Les réactions, même les plus extrêmes ne sont que des réactions et illustrent que nous ne sommes pas maîtres de la situation mais que nous avons toujours un train de retard. La posture du gouvernement le confirme par ailleurs. Il y a de quoi s’inquiéter lorsque des des décisions sont prises sans compréhension du sujet ni même concertation avec les acteurs concernés, à commencer par les musulmans qui sont, et je suis d’accord pour le répéter pour la énième fois, sont les premières victimes du terrorisme international.

Que Francois Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve lisent le rapport qui leur avait été remis en 2013 et qui condamnait l’échec du tout sécuritaire et leur demandait de travailler avec les musulmans au lieu de les stigmatiser ainsi que d’agir sur le long terme au lieu d’être aveuglé par le court terme et les échéances électorales.

Quant à l’alternative, elle est pire que ce qu’elle était déjà. A la veille des primaires du parti dit Les Républicains, pas un seul candidat ne s’est démarqué par une prise de hauteur. De la révocation de l’état de droit à l’internement de personnes fichées « S » en passant par l’interdiction pure et simple du « salafisme » ou encore les tests de « radicalisation », les propositions sont à l’image de notre classe politique; déconnectées, accro à la communication et aux symboles et surtout, pas à la hauteur des enjeux.

Le gouvernement continuera de masquer ses échecs en faisant porter la responsabilité aux citoyens de confession musulmane, à leur religion ou leurs mosquées, mais personne n’est dupe. Un gouvernement qui n’a pas la décence de se remettre en question après la mort de plus de 240 innocents malgré les promesses, les violations des libertés individuelles, l’incompétence avérée et le manque de coordination à l’intérieur même de l’état, est un gouvernement qui a échoué dans fonction première, à savoir la protection des citoyens. A lui d’en tirer les conséquences.

Cette tribune a initialement été publiée sur le blog de Yasser Louati.

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