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Comment l’institut Montaigne veut mettre la main sur la religion musulmane

« Le but est d’expliquer ce qui se passe de façon réelle et sans fantasme », explique ce lundi matin sur Europe 1 Hakim El Karoui, auteur d’un document qui fait (déjà) beaucoup parler. Ce dernier déplore l’émergence de « militants, on les voit par les réseaux sociaux, puis on a des gens qui essayent de créer une société alternative, qui va être pure, halal. » « Il faut se lever et reprendre la main sur la religion musulmane », indique clairement le membre de l’institut Montaigne à la radio. Mais celui-ci semble vouloir faire cavalier seul et mettre à la marge les organisations et fédérations existantes. Depuis la campagne d’Emmanuel Macron, El Karoui avance ses pions, avec des idées souvent déconnectées de la réalité et que Rachid Benzine avait d’ailleurs, à l’époque, jugées contraires à la loi de 1905.

L’islamisme selon Hakim El Karoui

« La fabrique de l’islamisme ». Le titre ressemble à du Jean-Paul Ney, mais il est celui d’un rapport rédigé par le très sérieux institut Montaigne. Dès les premières lignes, son auteur, Hakim El Karoui, définit l’islamisme, un mot employé à tort et à travers pour catégoriser les musulmans de France trop actifs, qui seraient soit « fréristes » soit wahhabites. Les islamismes, écrit l’auteur, « forment un ensemble qui, au-delà de la croyance religieuse et de la spiritualité personnelle, porte une interprétation du monde, une vision de l’organisation de la société — y compris le monde profane — et un rôle donné à la religion dans l’exercice du pouvoir. » Il s’agit, peut-on lire, « d’une véritable idéologie politique contemporaine. » Pour résumer, le « projet » de l’islamisme, c’est notamment la codification et la normalisation de la « non-mixité », du « halal », de la « finance islamique », de « la séparation entre les musulmans et les non-musulmans », voire du « rejet total de l’autre » et du « voile » et de la « barbe. » Voilà pour la définition.

Propagation du salafisme en Europe : oui, mais…

Pour ce qui est du contenu, ce rapport alarmiste dénote avec celui des sénateurs Corinne Féret, Nathalie Goulet et André Reichardt, qui indiquaient que le financement de la construction et de l’entretien des mosquées est assuré majoritairement par la communauté musulmane elle-même grâce aux dons des fidèles. « Ce n’est pas l’Arabie Saoudite qui gouverne l’islam de France, ce sont les pays d’origine », à savoir l’Algérie, le Maroc et la Turquie, indiquait Nathalie Goulet dans ce rapport sénaratorial. Faux, selon l’institut Montaigne, qui s’appuie sur des données du gouvernement… américain. « Les cent à cent cinquante mosquées actuellement en construction en France seraient, contrairement à ce qui est affirmé par le CFCM ou les promoteurs des chantiers, en grande partie financées par des dons saoudiens, ‘grâce à des chaînes de comptes en banque difficiles à tracer, et des transferts d’argent de personne à personne’ », indique Hakim El Karoui, qui admet cependant qu’il est « impossible d’affirmer avec certitude que ces dons constituent des vecteurs de propagation du salafisme en Europe », contredisant là le principal message de son rapport. Qu’importe cette contradiction, le titre suffit à attiser la peur. Mission réussie.

« M. El Karoui considère comme ‘islamistes’ tous les musulmans pour qui l’Islam a une quelconque importance »

Dans sa partie consacrée à l’impact et à l’audience des réseaux islamistes, Hakim El Karoui dresse une liste qui va d’Al-Kanz à Marwan Muhammad, en passant par Baraka City, l’association Havre de Savoir ou encore Nabil Ennasri. Le rapport parle de « salafistes ‘mainstream’. » Du name-dropping sans analyse qui n’a pas étonné les principaux intéressés. « C’est un non-événement, presque divertissant, ironise Marwan Muhammad cité plusieurs fois dans le rapport. Sans surprise, on découvre que M. El Karoui considère comme ‘islamistes’ tous les musulmans pour qui l’Islam a une quelconque importance. Ce rapport vise à légitimer la prise de contrôle idéologique et financière des structures musulmanes. » « Si vous tenez un compte Twitter et que vous évoquez des sujets islamiques, vous ne pouvez être qu’islamiste. Il ne manque plus que les numéros de matricule et on est bons », s’amuse Feïza Ben Mohamed sur le réseau social. Reste à savoir à quoi servira ce rapport. Pour Marwan Muhammad, il s’agit simplement d’un document dans l’air du temps censé surfer sur la vague islamophobe du moment : « A nous tous de poursuivre le travail d’autonomie et de coopération qui a été entamé, en apportant des solutions concrètes aux musulmans plutôt que de chercher à plaire à une partie de l’électorat obsédée par la question musulmane », plaide-t-il.

Et le CFCM dans tout ça ?

Hakim El Karoui souffle le chaud et le froid vis-à-vis de l’institution musulmane. Dans son rapport « Un Islam de France est possible », sorti en septembre 2016, l’institut Montaigne égratignait sévèrement le Conseil français du culte musulman. Hakim El Karoui écrivait que le CFCM « a montré ses limites » et indiquait que « la pluralité politique du CFCM, qui faisait sa force et son intérêt, se retourne contre lui et devient la principale entrave à son bon fonctionnement. » Dans son nouveau rapport, alors qu’il proposait vendredi de s’associer à l’initiative de la future association du CFCM pour financer le culte, Hakim El Karoui estime que les données du CFCM concernant les financements saoudiens sont fausses et écrit que « le CFCM est fragilisé par le flou qui entoure sa mission, en théorie seulement culturelle, mais rapidement sociale et culturelle, et par sa pluralité religieuse interne qui bloque toute définition d’une ligne théologique commune et fait le jeu des luttes d’influence. » L’institut Montaigne affirme par ailleurs qu’Ahmet Ogras, président du Conseil, participe à « l’hégémonie croissante de l’AKP sur l’Islam turc en Europe. » « Ce n’est pas sa première sortie sur le sujet », répond, presque blasé, le président du CFCM qui s’étonne que Hakim El Karoui soit encore écouté après « ses brillants exploits auprès de Ben Ali en Tunisie. » Mais ce rapport — et les propositions faites au président de la République sur une taxe halal et un « Tracfin » islamique — sont l’occasion pour Ahmet Ogras de rappeler que « les musulmans ne vont pas laisser faire une OPA hostile sur l’Islam alors que l’on commence enfin à s’unir. Les musulmans sont des intégrants majeurs, le CFCM évolue sur sa réforme et son association cultuelle. » Et Hakim El Karoui, dont le timing poste question — alors que le CFCM se réforme et que les Assises territoriales de l’Islam de France ne sont pas encore terminées — tout autant que sa légitimité, ne semble pas vraiment œuvrer en ce sens.

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