Monsieur le Président,
Je vous écris en tant que Président de la Ligue de Défense Judiciaire des Musulmans (LDJM), afin de vous entretenir d’un sujet dont la gravité exige qu’on l’extraie de ce dépotoir, que sont trop souvent internet et les réseaux sociaux.
Ce sujet, qui obsède une large part de la communauté musulmane de France, c’est la détention de Monsieur Tariq Ramadan.
Je n’ai nul besoin d’être instruit par vos soins relativement aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice.
Je vous interpelle simplement. Je vous alerte quant à ce sentiment de rancœur, que je sens monter parmi les musulmans de notre pays. Une amertume qui s’ancre dans les cœurs, face à la persistance et par la même, l’aggravation du racisme et des discriminations dont ils sont les victimes.
Sûrement il y a t-il une part de geignardise, une part d’autojustification abusive des ses échecs personnels… Sûrement, mais cela ne saurait, loin de là, tout expliquer. Chaque jour, je reçois des dizaines de messages, de la part de ceux que le Président Sarkozy avait appelés « musulmans d’apparence. » Des messages dignes et sans haine, mais qui expriment une très grande lassitude et le début d’une colère, qui croît jour après jour davantage, silencieusement, insidieusement et profondément. Le sentiment, qui je le crains ne relève pas du fantasme, d’être des citoyens de seconde zone, des Français supplétifs. Le sentiment de ne pas être traités à égalité face à l’école, l’emploi, le logement, la justice…
Au fond, si le cas Ramadan suscite autant d’émotion parmi nous, c’est parce qu’il est un symbole. Il n’est pas forcément celui de l’erreur judiciaire (nous verrons bien quelle en sera l’issue), mais celui d’une justice à deux vitesses, d’une justice qui sait volontiers se faire d’exception dès lors qu’il s’agit de l’un des nôtres ; d’un musulman.
Monsieur le Président, je vous le redis, cette lettre est une bouteille jetée à la mer, un SOS. Elle est une alerte, quant à cette colère qui monte, quant à ce désespoir qui étreint de plus en plus d’entre nous. La France n’est plus qu’un mur gris, contre lequel, de cités-ghettos en maisons d’arrêt, notre jeunesse se fracasse.
Nous sommes las des hochets que vos prédécesseurs nous ont tendus, las d’être traités comme des mineurs éternels, masse inerte d’électeurs dociles. Le temps est venu que nous prenions nos responsabilités politiques. Idéalement avec vous
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes respectueuses salutations.
Karim Achoui, avocat.