« En politique tout le monde ment, mais ce n’est pas grave, personne n’y croit », disait Grégoire Lacroix. En Tunisie comme en Egypte, les dirigeants politiques tentent de surfer — pour ne pas dire mentir — sur l’Islam. Ou comment se servir de la religion à des fins politiques. La preuve avec la dernière affaire en date, concernant une éventuelle abolition de la dot en Tunisie…
En effet, ces derniers jours, une rumeur persistante fait état de la possible abolition de cette pratique dans le petit pays du Maghreb qui veut paraître plus moderne qu’il ne l’est vraiment. Une réforme qui, si elle venait à être actée, envenimerait considérablement les relations entre l’institution Al-Azhar et la Tunisie, qui bataillent ici pour pas grand-chose.
En Tunisie, les femmes touchent 2,50 euros d’allocations familiales par mois
Le président Béji Caïd Essebsi a lancé en fin d’année dernière une « commission des libertés individuelles et de l’égalité » qui est en charge de rendre, le 20 février prochain, un rapport sur les mesures à prendre concernant notamment l’égalité dans l’héritage ou la fin de la dot. Cette dernière proposition a fuité et Bochra Bel Haj Hmdia, présidente de la commission, a alors indiqué à la presse que le système de la dot « est rabaissant pour la femme, assimilée à une marchandise que l’on vend. » Ce qui pose en réalité problème, c’est le Code du statut personnel acté par Habib Bourguiba et soi-disant révolutionnaire, qui indique dans son article 13 que « le mari ne peut, s’il n’a pas acquitté la dot, contraindre la femme à la consommation du mariage. »
Dans un pays en proie à de graves troubles sociaux, où la corruption bat son plein et où la répression policière est légion, les discussions autour de l’abolition de la dot paraissent superflues, voire totalement à côté de la plaque. Le régime se sert de la religion pour écarter les vrais problèmes… Là où l’Etat tunisien érige son Code du statut personnel de la femme en modèle, il est dans les faits bien loin de laisser une place de choix à ses citoyennes en ne versant par exemple que 7,3 dinars — moins de 2,50 euros — par enfant et par mois d’allocations familiales. Au lieu de s’attaquer aux véritables maux de la société, la majorité au pouvoir discute donc de la dot. Un changement de l’article 13 du CSP suffirait, mais l’on préfère débattre de l’aspect religieux de la dot, qui est en réalité bien souvent symbolique.
En Egypte, on emprisonne et on torture, mais on donne des avis religieux
Côté égyptien, ces rumeurs d’abolition de la dot en Tunisie inquiètent : l’institution religieuse Al-Azhar regrette que la Tunisie envisage une telle mesure. Elle dénonce les fatwas « marginales » venues du Maghreb. Selon un membre d’Al-Azhar, Mohamed Chahat El Jondi, la Tunisie « poursuit son abaissement de la dignité de la femme en s’attaquant aux constantes de l’Islam. » Al-Azhar redoute l’abolition de la dot et aurait plutôt imaginé une simple baisse de son montant.
La brouille semble anecdotique. Mais Al-Azhar profite de cet épisode pour s’autoproclamer unique référence en matière de fatwas, elle qui avait laissé à l’été 2017 le grand mufti d’Egypte autoriser l’aumône pour financer… l’armée ! L’Egypte, dont l’armée a chassé par la force les Frères musulmans, distribue donc les bons et les mauvais points aux pays musulmans avec des savants à la solde d’un dictateur qui prépare, dans deux mois, un scrutin présidentiel qui s’annonce être une mascarade. En Egypte, où l’on emprisonne sans vergogne des journalistes, où l’on torture dans les prisons et où l’on bafoue les droits humains, la religion n’est qu’un escabeau sur lequel le maréchal Sissi n’hésite pas à s’essuyer les pieds.